C’était il y a 16 ans exactement. Le 27 octobre 2005, Zyed et Bouna perdaient la vie par électrocution. Réfugiés dans un transformateur électrique pour échapper à la Police, soupçonnés de vol, ils avaient 17 et 15 ans. Retour sur la manière dont le rap français s’empare de la question policière.
Photo prise par Benjamine Weill lors du rassemblement pour Theo à Bobigny, février 2017
Depuis plus de 20 ans, la violence policière et le racisme d’Etat sont les rengaines préférées du rap français. Pourtant, il aura fallu attendre 2020 pour que le débat devienne enfin public. Depuis les années 90, ceux qui n’ont eu de cesse de les pointer du doigts ont été quasi systématiquement inquiétés (annulation de concert, procès, appel au boycott, à la censure).
En France, cette question est prégnante depuis plusieurs années. Beaucoup ne se sentent pas en sécurité face à la police nationale, celle qui éborgne, celle qui étouffe, celle qui agresse sexuellement sans être inquiétée. Celle qui refuse de voir qu’il ne s’agit pas que de bavures, que de comportements individuels problématiques.
Le premier épisode marquant date de l’époque où Jean Louis Debré est ministre de l’Intérieur pour Jacques Chirac. Depuis quelques années, les activistes s’invitent dans le débat public à l’initiative du MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues) pour dénoncer la fermeture des frontières et le délit de faciès.
Déjà, le terme de Racisme d’Etat est lancé sur un morceau collectif de 11 minutes 30, enregistré sous l’impulsion de Jean François Richet et de ses acolytes. Dès l’intro, ils sont explicites avec Madj (DJ d’Assassin) :
« Loi Deferre, loi Joxe, lois Pasqua ou Debré, une seule logique : la chasse à l’immigré. […] Un Etat raciste ne peut que créer des lois racistes. (…) Abrogation de toutes les lois racistes régissant le séjour des immigrés en France. »
Dans la foulée sort une compilation au titre explicite : POLICE produite par Artikal. A travers ces chroniques des violences policières inspirées de faits réels, il est rappelé que rien ne justifie que la police nie les droits fondamentaux d’un citoyen.
La police, force incarnant l’exécutif, ne peut nier la citoyenneté d’aucun, sans quoi, c’est la citoyenneté de tous qui est en péril.
Elle est une institution qui représente l’ensemble sociétal que nous formons. A ce titre, elle a un devoir d’exemplarité trop souvent omis.
Comment faire comprendre que l’enjeu n’est pas de monter les populations contre l’institution, mais d’amener l’institution à respecter sa fonction première ? Comment cesser la criminalisation des quartiers populaires et des jeunes issus de l’immigration ?
Questions posées notamment par La Rumeur, composée de Ekoué et de Hamé, régulièrement en procès depuis 2004 pour : « des centaines d’entre nous sont tombés sous les balles de la police » considérée comme diffamatoire.
2008, Kery James, dévoile sa « Lettre à la République, à tous ces racistes à la tolérance hypocrite ». L’idée est d’ouvrir les yeux à ceux qui continuent de se faire croire que République et monde des bisounours sont synonymes.
Beaucoup continuent pourtant de se faire croire que la France n’est pas raciste. Puisque nos références théoriques disent que nous ne le sommes pas, ça suffit non ?
Vieux relents de l’idéalisme philosophique occidentale si marqué en France. Doux rêve des universalistes qui pense que celui-ci est un fait admis et non une perspective à suivre.
La même année, une nouvelle compilation voit le jour grâce à Zenith Sonore (label indépendant). Elle réunit une multitude d’artistes suite en hommage à Zyeb et Bouna.
Le titre : Ecoutes la Rue Marianne ! Comme un ordre donné à celle qui tient son pouvoir de cette rue. L’ensemble des pistes viennent souligner les écarts entre théorie et pratique et les incohérences d’un discours universaliste qui se voile la face.
Ecouter la rue, c’est déjà la regarder en face, la considérer. Ecouter la rue, c’est respecter le pouvoir démocratique. Ecouter la rue, c’est accepter qu’elle a son mot à dire et la dignité nécessaire pour être entendue.
Dans le même temps, des artistes comme Casey ont continué sur le sujet pour nourrir leur art et ouvrir les perceptions du monde.
Ce n’est pas les principes républicains qui sont attaqués, mais leur manque de réalité, de mise en œuvre également sur l’ensemble du territoire, pour l’ensemble de ses citoyens.
Toujours l’enjeu reste de sortir d’un « anti-racisme bon enfant » qui ne s’attaque pas à ses fondements : les rapports de domination.
Ces rapports de domination dont les violences policières sont l’expression, s’inscrivent dans un système qui soutient, autorise, permet voire favorise des comportements individuels où la domination de l’un sur l’autre est rendue possible.
Un système de domination s’exerce à condition que des facteurs externes et internes le favorise. Cela ne signifie pas que tous les policiers y souscrivent, mais que ces comportements sont facilités par l’institution elle-même (lenteur ou inertie des équipes de l’IGPN, difficultés à porter plainte dans les commissariats, dissuasion).
Ces luttes sont relayées par les activistes du milieu HipHop. Là dès les premiers temps, toujours prompt à rappeler les valeurs à grand coups de mic armé, mais si peu entendus.
Faute d’admettre que les institutions par le système de ségrégation sociale produit des formes d’exclusions, qu’elles génèrent des stéréotypes et forgent les premiers rapports de domination, rien ne pourra bouger. L’enjeu est de sortir de l’idée que la République protège du racisme, de la discrimination. Considérer l’universalité de l’Homme comme un acquis est en soi déjà un privilège blanc.
Ce terme n’est souvent pas compris. Il consiste à faire en sorte que les personnes non racisées se vivent sur le mode de LA norme, imposant ainsi leur mode de fonctionnement. Rokhaya Diallo et Gace Ly vous permettent de mieux comprendre avec la participation éclairante de Eric Fassin.
Depuis le décès de Malik Oussekine en décembre 1986, nombres de collectifs revendiquent la requalification de ces bavures en violences volontaires, voir en crimes. Pour rappel, la violence légitime de l’Etat ne s’exerce jamais sur un individu isolé et non armé.
Aujourd’hui encore, en cette date anniversaire de la mort de Zyed et Bouna, personne n’oublie ni Théo, ni Adama, ni Babacar, ni Tarek, ni Amadou, ni Abdoulaye, ni tous les autres, car malheureusement, la liste est trop longue ….