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Y a-t-il un racisme de type privilège blanc dans le rap ?

Y a-t-il un racisme de type privilège blanc dans le rap ?

S’il y a un mouvement où le privilège blanc devrait ne pas exister, c’est dans le Hip Hop et son appendice : le rap. Le racisme s’arrêterait donc tel le nuage de Tchernobyl à nos frontières ? Et la marmotte, elle emballe le chocolat ? Retour sur le débat lancé par Le Juiice malgré elle.

Nécessaire pour comprendre les enjeux, il nous faut définir les termes : le mouvement HipHop et le privilège blanc pour savoir si racisme il y a dans le rap français.

Quesako ?

Le rap appartient au mouvement HipHop qui comprend aussi le beatboxing, le Djing, le graffiti et la danse. Cette culture issue des Etats-Unis prône le système D, la revalorisation de ce qui ne l’est pas socialement, l’expression de sa différence pour exister au sein du collectif, la transversalité des apports, l’éducation populaire… Bref, des principes qui normalement ne font pas aller ensemble rap et privilège blanc.

En effet, le privilège est un bénéfice dont dispose une personne sans que ce bénéfice n’ait fait l’objet d’aucune entreprise, d’aucun effort. Est privilégié.e celle ou celui qui a, par ses caractéristiques de naissances (sexe, lieu de naissance, filiation), un avantage « parce qu’il le vaut bien » dirait l’Oréal.

Le privilège blanc, comme son nom l’indique, signifie que les personnes blanches bénéficient d’un avantage dans un système dit de blanchité à savoir construit et pensé avec comme norme : l’homme blanc.

Nekfeu, dans Ballade du Frémont sur Feu où il invite Doum’s en feat, explique : « C’est plus facile quand t’es blanc/Quand tu sors, tu commences à l’voir ». A croire qu’il faut traîner avec des non-blancs pour percevoir en quoi l’être est un privilège ? peut-être… Ecoutons-le.

Un concept qui coupe le cou au mythe de la Révolution

De fait, la France est baignée de ce privilège blanc, mais refuse de l’admettre jusque dans le rap. En effet, selon sa mythologie, l’ensemble des privilèges ont été abolis la nuit du 4 août. Effectivement, ce fût le cas pour les hommes blancs.

Malgré les tentatives d’Olympe de Gouges ou de Brissot (pour ne citer qu’elleux) d’inclure femmes et noirs à la citoyenneté, la constitution ne reconnaît que les droits de l’homme blanc. 

Forcément, les notions de racisme et de privilège blanc sont problématiques en France comme dans le rap français. Notre République s’est fondée sur le refus des privilèges, mais n’a pas pu éviter leur reproduction. Le fond du fond de la fange est là : un privilège c’est dur de s’en défaire. Dans l’idée d’accord, mais dans les faits, c’est plus chaud à assumer.

Le privilège blanc se porte très bien tant que personne ne le relève. Comme ce sont rarement celleux qui en bénéficient qui le dénoncent, force est de constater que c’est toujours celleux qui en sont exclus qui le font. Le racisme d’Etat et son corolaire le privilège blanc a toujours été au cœur des thèmes de prédilection du rap français.

Poser la question du privilège blanc ? Si la réponse est que vous vous victimiser, c’est que vous êtes dans le juste. Orelsan, dans A qui la faute, donne des indices, à écouter attentivement.

Une polémique peut en cacher une autre

C’est ce qu’a fait Le Juiice : oser poser la question de la couleur de peau de Diam’s. Questionner le privilège blanc dans l’industrie musicale et non remettre en question le talent d’une artiste, tel était le projet. Question déjà posée par Despo Rutti en 2006 : « en plus de bien rimer pour que ça paye, faut être blanche » dans Arrêtez. Comme quoi, selon qui et où c’est dit, les retombées diffèrent.

Si nos écoutilles sont bien ouvertes, il ne s’agit, à aucun moment, de mettre en concurrence les artistes. Le Juiice ne se compare pas à Diam’s. C’est l’extrait tel qu’il est coupé et monté qui le laisse entendre, mais rien de tel dans sa bouche.

Il n’est pas question de comparer leur talent. Ce talent, d’ailleurs, reste tout à fait subjectif, rappelons-le. Le nombre de ventes ou de vues ne font pas le talent, enfonçons cette porte ouverte autant qu’il le faudra. Jusqu’à la mort comme dirait le Juiice dans son dernier titre que je vous invite à écouter histoire de se faire un avis par soi-même.

Le Juiice jusqu’à la mort – sorti le 17 septembre 2021

Le rap game doit il se contenter d’une seule reine ? C’est Koh-Lanta et il n’en restera qu’une ? Diam’s ne peut-elle pas « garder la couronne » si d’autres « préfèrent le diadème » ? Les femmes ne sont-elles pas plurielles? Il y aurait une seule façon d’être rappeuse?

Du privilège blanc à la misogynoir, il n’y a qu’un pas

Dans le mouvement HipHop, des reines, il y en a autant que de nanas investies. Pourquoi vouloir en élire une au détriment des autres ? Y aurait-il un intérêt à monter les femmes les unes contre les autres ? C’est ce que la viralité de la polémique laisse entendre en tout cas..

Diam’s a « marché » comme le précise le Juiice. Le fait qu’elle marche ne dit malheureusement absolument rien de son talent. Il est aujourd’hui convenu d’admettre que ce n’est pas le talent qui fait le succès. Le succès est l’œuvre d’une équipe de production, de communication, d’une direction artistique, de relais médiatiques et promotionnels, de tournées, etc.

Confondre succès et talent, au-delà de l’erreur sémantique, empêche surtout de bien se repérer dans le débat. Il ne s’agit pas de voir si Diam’s a été appréciée parce que blanche, mais si elle a été mise en avant, accompagnée et marketée comme elle l’a été, de ce fait. Question radicalement différente. D’autres rappeuses existaient à l’époque. Que leur style plaise ou non aux oreilles des uns et des autres, le talent était là.

Pour votre plaisir, jugez par vous-même du talent de Bams par exemple.

Bams – douleur de femme, 1999 sur l’album Vivre ou Mourir

C’est donc l’industrie musicale qui perpétue le privilège blanc, pas le HipHop ni le rap en tant que branche de ce mouvement. La nuance est subtile mais importante.

Pour ne pas conclure

Il serait donc tentant de répondre que oui, il existe un privilège blanc dans l’industrie musicale. Pire, il existe un système de blanchité qui continue d’œuvrer sur le dos de ce qu’Orelsan appelle « de la musique de noirs » dans Christophe (La fête est finie, 2017). Beaucoup de blancs mangent grâce aux travaux des noirs. L’inverse est-il vrai ?

Nous y voilà. Faut-il correspondre aux standards de la société pour être une icône ? Le succès est-il lié au talent ou à la manière dont un label ou une maison de disque mise sur son artiste ? Voilà l’ensemble des questions qui s’ouvrent suite au débat lancé par Le Juiice.

Grâce à elle, la question devrait se déplacer. Il ne s’agit pas de mettre en concurrence les rappeuses, mais d’interroger les ressorts qui font que la misogynoir a encore de belles heures devant elle dans l’industrie musicale.

A voir les réactions dès qu’on touche à l’icône Diam’s, force est de constater que le public rap ne connaît pas bien son histoire. Quiconque ignorant d’où il vient serait condamné à le répéter non? Diam’s avait du talent, c’est certain. Elle-même savait ce qu’était le privilège blanc, comme tous les blancs fréquentant des non-blancs. Avec elle, concluons : Peace, love and Unity.

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