Pseudo de Jérémy Rubenstein, historien, chroniqueur et écrivain (pas forcément…
Devant la difficulté de se repérer dans ces élections particulièrement infectes, cet article propose de se centrer sur le vote des dominants, afin d’essayer de comprendre leurs logiques. Et se situer en fonction, face aux urnes funéraires qui se profilent ce 24 avril.
Sécessionnistes et exterminateurs : le vote bourgeois radicalisé
Dans les quartiers les plus huppés de la capitale, le vote au premier tour se partage essentiellement entre Macron et Zemmour. Que ces quartiers votent massivement pour Macron, rien que de très normal. Il eut été étonnant que ceux qui bénéficient le plus de l’accroissement des inégalités fassent différemment. Ils sont ce pays qui vit dans un autre pays depuis des lustres. Ils ont leurs écoles privées largement subventionnées, leurs écoles publiques les mieux dotées, leurs parcs réservés et entretenus par l’argent public, etc. Et, contrairement à l’image de passivité bonhomme qu’elle offre, la bourgeoisie est un groupe doté de nombreux activistes capables de se mobiliser dès que ses intérêts de classe sont rognés même à la marge.
C’est le pays des riches qui a fait sécession depuis belle lurette et dont la mission d’Emmanuel Macron est de renforcer les frontières. Néanmoins, ses habitants ont aussi fortement voté pour Zemmour (dans le 8ème et le 16ème à près de 20%, le Bondy Blog offre le portrait de quelques uns de ces électeurs). Ils sont donc partagés entre deux formes de radicalité. La question est de savoir si celles-ci sont fondamentalement divergentes ou si elles se combinent.
La Macronie, la loi du marché
L’une, la Macronie, est l’aboutissement du projet néolibéral, qui rassemble désormais sans plus de faux-semblants tous les partis politiques qui ont gouverné depuis une quarantaine d’années. Son présupposé fondamental est que la loi du marché doit régir le monde. La question des formes de gouvernement est assez secondaire. Il peut accepter un pluralisme relativement ouvert si cette pluralité ne remet pas en cause sa loi fondamentale. Autrement dit, faites ce que voulez mais ne touchez pas au pognon.
Soyez “écolos”, “socialos”, “républicains”, “démocrates” ou “conservateurs”, pourvu que vous ne remettez pas en cause l’accroissement vertigineux des inégalités qu’implique la loi du marché. Si celle-ci est attaquée, en revanche, police et/ou armée sauront vont remettre les idées en place. Il n’y a pas de gouvernement de Bercy au service du CAC40 sans la place Beauvau. Le degré de violence de la Macronie est indexé sur son estimation de la capacité du peuple à entraver le pouvoir de l’argent. Et elle ne s’est pas trompée sur le danger que représentaient les Gilets Jaunes. Ce mouvement démocratique était puissant et décidé à s’attaquer à la loi fondamentale du néolibéralisme. Il fallait donc l’abattre.
L’ancien ministre de l’Éducation, Luc Ferry, avait ainsi très bien exprimé le sentiment dominant de ces quartiers, lorsqu’il appelait à tirer à balle réelle sur le peuple fluorescent.
L’extrême-droite, un racisme qui consolide les intérêts des dominants
Cette violence de la bourgeoisie est exacerbée dans le vote Zemmour qui l’exprime sans détour. Pour les Zemmouriens, il faut directement éliminer une partie de la population. Extrême certes mais, à l’instar de celle de la Macronie, cette violence n’est pas irrationnelle pour autant. Par bien des aspects, elle n’en est que la continuité. Pour ces gens qui fréquentent les mêmes écoles et aspirent aux mêmes carrières, la question centrale est de savoir que faire du reste de la population. Ou, plus exactement, comment maintenir et accroitre son état de subordination. La divergence porte sur la méthode.
Avec Macron, l’écrasement par l’émiettement de la population qui permet son exploitation toujours plus crue (avec les dividendes que cela suppose). Le choix de Zemmour c’est l’élimination d’une partie de la population déjà écrasée pour renforcer l’exploitation de l’ensemble. Les deux projets se combinent plus qu’ils diffèrent radicalement, l’un pouvant parfaitement succéder à l’autre. Néanmoins, l’articulation entre les deux se fait paradoxalement sur un point qui les distinguent : le degré de racisme.
La divergence : le degré de racisme à mobiliser
Aux multiples divisions qu’entretient en permanence la Macronie pour asseoir sa domination, l’extrême-droite préfère en exacerber une seule : la division raciale. La Macronie passe d’une division à une autre : un jour ce sont les pauvres qui sont responsables du déficit, l’autre ce sont les wokes qui attaquent la cohésion nationale, le suivant les « conspirationnistes », etc. L’extrême-droite, quant à elle, invente une francité. Elle façonne un Français imaginaire, à partir duquel elle construit ses différents bouc-émissaires. Ceux-ci sont en priorité « étrangers » (avec une définition variable et incertaine). Puis les mauvais français (noirs, arabes et traitres à la blanchité). Au lieu des bouc-émissaires changeants de la Macronie, l’extrême-droite semble en un offrir un seul et stable.
Probablement, le vote Zemmour se reportera massivement sur Le Pen, ne serait-ce que parce qu’il a appelé à ce report. Plus prosaïquement, quelque soit les différences entre les deux formations d’extrême-droite, l’arrivée au pouvoir de l’une est une énorme opportunité pour l’autre. Ce sont des centaines de postes politiques et de la haute-administration à pourvoir. Dans les médias intégralement privatisés, l’empire Bolloré aura aussi à organiser le champ entre les différentes nuances de brun. Ce sont là qu’une partie des cauchemars qui nous attendent (pour les personnes qui ne seront ni déportées ni tuées).
La Macronie aura placé très haut le degré de racisme en France. La question est donc de savoir si la Lepénie est en capacité de relever le défi pour la dépasser. Clairement, oui. Déjà, en dehors des mesures discriminatoires, de type « muslim ban » de Trump, il faut s’attendre à des vagues de violence raciste encore peu concevables. Et ce dès le premier soir de l’élection de Marine Le Pen. L’organisation d’un « référendum sur l’immigration » ne peut que se dérouler dans un climat à côté duquel la chasse aux islamo-gauchistes et les ratonnades de la Macronie apparaitront comme d’innocentes mise-en-bouche.