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La mort de l’oiseau bleu

La mort de l’oiseau bleu

Un libertarien pur jus, issu de ce modèle californien qui a ravagé la planète ces quarante dernières années, annonce mettre la main sur le média le plus influent au monde, pour la modique somme de 44 Mds de dollars. Que fait-il le lendemain? Il annule sa décision. Sa passion pour le jeu et la transgression trouvera-t-elle ici son ultime et morbide expression.

Si la qualité d’un être humain se mesure aux devoirs qu’il s’impose et aux limites qu’il se pose, alors Elon Musk est un bien piètre personnage. Je passe, j’écrase, je refuse toute forme d’obstacle qui pourrait limiter mon pouvoir, mon expression, mes fantasmes. No limits. En annonçant le rachat de Twitter, il affirme sa volonté de le retirer de Wall Street pour avoir champ libre et le refaçonner à sa guise. Il ferait ainsi du réseau (comme avait tenté avant lui Donald Trump), son propre terrain de jeu. C’est la mort de Twitter. Pour couronner le tout, il revendique son acquisition au nom de la liberté d’expression qui serait bafouée par les censeurs du réseau social.

Que fait-il le lendemain ? Contre toutes les réglementations boursières, il suspend sa décision et le cours du réseau s’effondre. On hésite entre la franche rigolade et le cauchemar éveillé.

La volonté égotique de privatiser « l’oiseau bleu »

On connait les dégâts causés à la démocratie par le rachat des médias d’information transformés par leurs nouveaux propriétaires en médias d’opinion. Tous les milliardaires à l’image de Bolloré ou de Xavier Niel s’arrachent (sans difficultés) les groupes de presse pour influencer à leur profit les opinions et soutenir leur business. On atteint ici avec la volonté égotique de privatiser « l’oiseau bleu » un « sommet » que même Donald Trump n’avait pas réussi à atteindre. 44 Mds, non pas pour faire de la politique, ce dont Elon Musk n’a cure, mais pour « décharger » son égo, ses fantasmes, ses théories complotistes sur l’ensemble de la planète. L’exercice d’un pouvoir démoniaque que l’on ne pensait possible dans des fictions hollywoodiennes. Quel modèle de société peut-il autoriser de tels excès ?

Donner libre cours aux forces les plus sombres

Conscients des dérives du réseau social et des risques pour son existence même, les gestionnaires du réseau social tentaient depuis des années avec les plus grandes peines et sous l’œil attentif des investisseurs, d’imposer une forme de régulation pour éviter qu’il ne devienne un repère de fabulateurs, de menteurs, un outil de manipulation d’une partie de l’opinion. Dans la plus grande tradition libertarienne, au nom d’une pseudo liberté d’expression, Elon Musk fait miroiter l’ouverture des vannes. De donner libre cours aux forces les plus sombres en nous posant parallèlement la question fondamentale de la liberté, ses limites et ses contraintes. Pourquoi un espace de liberté comme Twitter est-il systématique pris d’assaut et paralysé in fine par ce que l’humanité véhicule de plus immonde ?

Un défi que nous ne pourrons éviter de relever dans l’avenir et que nous ne manquerons pas de poser prochainement dans ces colonnes.

Des conversations qui se dégradent

Ce pseudo rachat (j’te prends, j’te prends pas) surréaliste signe la mort de l’oiseau bleu. La mort de Twitter. Le réseau ne supportera pas une absence de régulation ou les montagnes russes de Wall street. Beaucoup d’entre nous qui avaient vu dans cet outil un « super » moyen d’échange d’informations, ont aujourd’hui déchanté en constatant la médiocrité des conversations qui ne cessent de se dégrader au fil des années. Les utilisateurs ne se trompant pas sur les stratégies suicidaires du milliardaire ont quitté massivement le réseau. Sortir de Wall Street et proposer un abonnement forfaitaire qui doublerait les recettes comme le projette Elon Musk, personne n’y croit. La réputation du réseau va fondre sous les coups de boutoirs des extrémistes et des complotistes. Il ne sera plus de bon goût de fréquenter le réseau sinon pour y échanger des coups et des injures et ternir son image.

Un nouvel espace à conquérir

L’oiseau bleu risque donc de disparaître sous le « coup de trop » d’Elon Musk, qui signe à travers cette volonté de rachat une forme de suicide. Sa passion pour le jeu et la transgression trouvera-t-elle ici son ultime et morbide expression. La mort de Twitter. Étrangler l’oiseau de ses propres mains ? Ce qui n’est pas un problème en soi. On se passera facilement d’Elon Musk. On se passera tout aussi facilement de Twitter.

Le plus important n’est pourtant pas là. Il existe un effet positif à cette mort annoncée. Elle libère un nouvel espace à conquérir pour y construire un nouvel outil d’échange d’information qui réponde aux exigences de liberté, de respect, de transparence que la complexité du monde nous impose. Le réseau « post twitter ». Faisons travailler nos imaginations et saisissons l’occasion pour inventer de nouveaux outils d’échange.    

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