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Veneno L’interview

Veneno L’interview

Qu’est-ce qu’il t’a fait plonger dans le graffiti ?

Dès l’âge de 13, 14 ans, j’avais déjà une attirance pour le graffiti. J’admirais et observais les graffs que j’apercevais sur le périph parisien quand j’allais voir ma famille. Mon premier livre de graff m’a été offert à cette période. Il s’agissait du fameux « Kapital ».
Ce livre a joué un rôle essentiel dans ma passion naissante pour le graff. Je me rappelle avoir spécialement été marquée par la fresque des MAC et 156 dans le 13e et plus particulièrement par le style d’Alex des MAC. Une scène de rue reste gravée dans ma tête. Dans cette scène, il avait su recréer une profondeur incroyable à coup de perspectives et de jeux de lumières sur ses personnages et le décor. La composition de cette bande entre lettrages, persos et scènes m’avait également séduite.
J’ai eu l’envie de pousser plus loin et de découvrir encore plus cette discipline.


Pourquoi « Veneno » ?


Quand j’ai choisi mon blaze, je voulais avant tout créer un univers, une identité et représenter mes influences. A la base, ce nom était comme une image que j’avais en tête : Celle de graffitis et de tags proliférants dans les rues de la ville à la manière du venin se propageant dans les veines.
Pourquoi en espagnol ? Parce que depuis toujours c’est une langue que j’affectionne tout particulièrement.
J’ai très rapidement commencé à représenter des animaux venimeux, sauvages et dangereux sur mur… Le genre d’animaux que l’on a pas envie de croiser normalement, les plus détestés, les plus effrayants… Mais pour moi, ce sont les plus intéressants, les plus fascinants. Peut-être parce qu’ayant eu un père vétérinaire, j’ai eu la chance de côtoyer et d’accueillir chez moi des iguanes, rapaces, serpents… depuis mon plus jeune âge.
L’idée d’imposer ces animaux peu populaires, à la vue des gens sur des murs en grand format m’a plu !
J’avais également envie d’un nom neutre. Que l’on ne sache pas tout de suite si Veneno est une femme ou un homme. Brouiller les pistes pour pouvoir observer les réactions des gens lorsqu’ils découvrent que derrière ce style plutôt dark, se cache une femme très féminine. 


Comment as-tu intégrée le CNN199 crew ?


En 2016, j’ai été invitée au Festival de graffiti « Festigraff » en Afrique, au Sénégal. C’est lors de ce festival que je fais la connaissance de deux membres du crew belge CNN199 (HMI et DEMA). Le feeling est tout de suite passé. Puis ils m’ont invitée à peindre avec eux, à Bruxelles, là où j’ai pu rencontrer RIVAL, le fondateur du crew ainsi que d’autres membres.
Puis nous nous sommes retrouvés avec HMI et DEMA une nouvelle fois en Afrique mais cette fois-ci au Bénin pour participer au festival « Regraff » organisé par le graffeur togolais Sitou SMI (devenu lui aussi membre du CNN199 depuis).
Pour mon intégration dans les CNN un défi m’avait été lancé. Je devais les impressionner.
J’ai donc tout mis en œuvre pour qu’en 2017, les CNN soient mis en lumière dans l’un des plus grand Festival Hip Hop de France, le festival « Hip Opsession » à Nantes. Je suis donc allée frapper à la porte des organisateurs du festival et ai porté le projet.
J’ai invité les CNN à se joindre à moi pour réaliser l’exposition principale de l’événement dont le but était de s’emparer du bâtiment dans son intégralité (QG du festival). Pendant deux semaines nous avons fait une résidence artistique afin d’investir ce lieu que nous avons entièrement revisité (graffiti, collages, installations gigantesques … L’intérieur comme l’extérieur du bâtiment portait désormais la marque des CNN et racontait l’histoire de ce crew doyen de la culture Hip Hop en Belgique.
Le titre de l’exposition : « CENT NONANTE NEUF ». Des hyènes dorées (emblème du crew), ornaient tout le bâtiment. On pouvait y retrouver entre autre, les archives et l’histoire des CNN sur les murs noirs et dorés de ce bâtiment que nous avion plongé dans l’obscurité. Un concert des rappeurs du crew, RIVAL et RAMONE accompagné par DJ KESO a également eu lieu le soir de l’ouverture du festival pendant le vernissage de notre exposition.
C’est à la suite de ça, que j’ai gagné le droit d’entrée au sein des « Criminels Non Négligeables ». 


Est-ce que la culture de crew est importante pour toi ?


Elle l’est oui. J’aime ses codes et ce qu’elle représente. Aujourd’hui en France les crews vraiment authentique à l’ancienne se font rare. Ils sont précieux à mes yeux. Ils étaient présent à la naissance du mouvement et ont joué un rôle essentiel dans l’évolution de la culture Hip Hop.
J’aime l’idée d’avancer en meute, de se porter les uns les autres dans nos projets communs mais aussi personnels, de se mettre aux mêmes couleurs afin de ne pas évoluer que dans l’individualisme et l’égocentrisme que l’on peut retrouver parfois dans le graffiti et d’imposer au monde ensemble, notre identité et nos forces.
J’aime également évoluer seule, dans mes choix de vie et mon art mais je représente toujours mes crews même en habitant à l’autre bout du monde.
Certains crews m’ont particulièrement marquée de part leur façon de fonctionner : Les MAC, la TRUSKOOL, 1UP, les TWE, MACLAIM, les 132 et bien d’autres…


Tu es une artiste pluridisciplinaire, comment articules-tu le liens entre tes graffitis, tes gravures, tes illustrations et tes créations au crochet ?


Je pense que le lien se fait assez naturellement grâce au fait que mon identité se retrouve dans les différentes techniques et disciplines. Si l’on se penche sur mon travail on s’aperçoit que dans mes graffs, le style que j’ai développé se rapproche fortement de celui de la gravure, à la manière du « Cross Hatching ». Cette technique consiste à construire mon illustration à l’aide de hachures qui vont se croiser afin de produire une demi-teinte et de lui donner ainsi une profondeur ou des volumes.
Je travaille généralement mes personnages avec beaucoup de détails et très peu de couleurs afin d’obtenir un rendu très contrasté comme dans mes gravures que je traite généralement en noir et blanc.

Dans mes illustrations et mes gravures, on retrouve beaucoup l’univers de gangs Mexicains et hispano-américains. Ce monde m’a attiré, quelque chose me fascine dans sa violence et son côté obscure. J’ai eu envie de le comprendre un peu mieux.
Le documentaire mexicano-français « La Vida Loca » réalisé par Christian Poveda, sorti en 2009 m’a énormément marquée. Ce documentaire raconte le quotidien des membres (hommes et femmes) du célèbre gang salvadorien Mara 18, près de San Salvador. Leur quotidien est fait de fusillades, enterrements, représailles, contrôles de police, de peines de prison… Le réalisateur a tourné ce documentaire en total immersion dans la vie quotidienne du gang. Ce qui lui en a d’ailleurs coûté la vie puisqu’il sera assassiné de quatre balles dans la tête en revenant d’un tournage avec la Mara 18.


Le fait d’avoir pu donner des cours de gravure dans une prison pour homme au Mexique m’a permis de me renseigner directement auprès de membres du gang 13 et de comprendre beaucoup de choses. Ma toute première exposition réalisée au Mexique traitait d’ailleurs de ce sujet. « Cholos y Pachucos ». 


Parles-nous de tes objets d’art réalisé au crochet.


Pour mes créations au crochet j’évolue également dans l’univers de la culture Hip-hop et d’ailleurs mon tout premier détournement au crochet fut une bombe de peinture que j’ai entièrement recouverte de laine. Puis je me suis mise à recouvrir de laine les objets emblématiques du mouvement en passant par toutes les disciplines… J’ai alors créé différentes séries comme par exemple « Sweet Vandal » qui regroupe des objets liés à l’univers du vandalisme (Bombes de peinture, extincteur, pince coupe boulons, pot de peinture, marqueurs, stickers…) Puis la série « Sweet Gangsta » qui regroupe elle des objets liés à l’univers des gangs et à la violence « Poing américain, battes de baseball, cocktails molotov, gants de boxe…)
et enfin la série « Sweet Hip Hop Music » (Ghetto blaster, platine vinyle, mixtapes, vinyles…)
L’idée est de créer un décalage entre la dureté de l’objet et la douceur de la laine qui le recouvre.


Tu as beaucoup voyagé, qu’est ce qui t’a emmené aux quatre coins du monde ?


Le graffiti y a fait beaucoup. Les invitations à participer à des festivals de graffs m’ont fait par exemple découvrir l’Afrique (Sénégal, Bénin, Maroc). Une initiation graff que j‘ai faite à des jeunes dans un bidonville à Oaxaca m’a fait découvrir le Mexique. J’ai également eu l’occasion de peindre au Canada et en Allemagne.
J’ai une soif insatiable de découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles cultures, de voir ce qui se passe dans les autres pays, de me nourrir de tout ça et de le transférer dans mon art.
J’aime m’imprégner de chaque pays que je visite ou dans lequel je m’installe. Les rencontres que je fais aux quatre coins du monde m’on fait suivre un chemin et je me laisse facilement porter par mes envies. 


Tu as vécu 3 ans au Mexique, peux-tu nous raconter ton expérience ?


 Il y a 3 ans j’ai quitté la Belgique dans laquelle j’ai habité une courte période et après 2 voyages au Mexique, j’ai pris la décision d’y retourner une troisième fois cette fois-ci pour m’y installer.
Comme je le disais plus haut, ma première approche du Mexique s’est faite grâce au graffiti.
Une association parisienne « Tchapoulines » qui travaille en partenariat avec un centre social dans un bidonville de la ville de Oaxaca de Juarez m’a invitée à les suivre lors d’une de leurs missions afin d’y réaliser une initiation graff avec trois jeunes du centre social. Ce fût une expérience vraiment intense et inoubliable. J’ai découvert dès le début de mon voyage la population la plus pauvre, la plus vulnérable mais aussi la plus violente car la colonie regorge de membres du gang 13.
Puis j’ai eu la chance de vivre l’expérience de « Dia de Muertos », la « Fête des morts ».
Durant une semaine entre les défilés déguisés dans les rues, les rues colorées, la musique permanente que l’on entend nuit et jour, l’euphorie de la préparation de cet événement… Tout ça m’a retournée. Je découvrais une façon joyeuse d’aborder la mort qui me fascinait.
Je suis littéralement tombée amoureuse de la culture Mexicaine.
Je me suis donc installée dans la ville de Oaxaca de Juarez, cette ville qui regorge d’artistes révolutionnaires, d’ateliers de gravure et de galeries d’art.

J’y ai retrouvé la bande d’artistes rencontrée lors de mon premier voyage, devenue entre temps des amis. Ils m’ont ouvert les portes de leurs ateliers, de leurs galeries, de leurs maisons et de leurs cœurs. L’hospitalité des Mexicains n’est pas un mythe ! J’ai commencé à prendre mes marques, à vivre à la mexicaine (beaucoup de fêtes car on ne sait jamais de quoi sera fait demain) mais j’ai également été plus productive que jamais dans mon art. Deux mois après mon arrivée je montai déjà ma première exposition « Cholos y Pachucos » dans la galerie « Espacio Zapata ». Comme mon expo traitait du sujet des gangs, j’avais invitée un tatoueur local à réaliser des flash tattoo lors de mon vernissage. Ce format d’exposition était nouveau pour les mexicains et ça leur a beaucoup plu et beaucoup d’entre nous se sont fait tatouer ce soir là !
Puis mon quotidien a été des allers-retours entre Mexico city et Oaxaca pour y acheter mon matériel, des voyages à travers le Mexique et le Guatemala pour y découvrir toutes ses richesses archéologiques chargées d’histoire, beaucoup de rencontres, beaucoup d’expériences intenses, humaine mais aussi artistique.
Je reviens aujourd’hui m’installer en France avec la sensation d’avoir accompli quelque chose. D’avoir vécu mon rêve jusqu’au bout afin de n’avoir aucun regret. La sensation d’avoir donné ce que j’avais à donner et pris ce que j’avais à prendre. La sensation d’avoir une nouvelle famille à l’autre bout du monde qui n’attend qu’une chose c’est que je revienne pour partager avec eux une bonne bière et des tacos !


Parles-nous de ton projet « Vándalo ».


Si je vous parle de mon projet Vándalo, je dois vous raconter les raisons qui m’ont amenée à entrer dans la prison pour hommes Santa Maria Ixcotel situé dans la ville de Oaxaca au Mexique…
À la base, ma motivation été de pouvoir rendre visite à un de mes amis mexicains, Cesar, incarcéré à tort depuis 1 an et demi. Comme les visites n’étaient autorisées qu’au familles des détenus, il a fallu ruser. Un ami artiste que nous avions en commun « Yescka » m’a alors proposé de rencontrer le directeur de la prison en tant qu’artiste international de passage à Oaxaca voulant faire une intervention artistique (un graffiti) au sein de la prison pour la Fête des morts.
Ne parlant pas très bien espagnol à l’époque, c’était pour moi un défi de plus.
Le lendemain nous exposions donc notre projet au directeur et le sur lendemain j’entrai dans la prison…
Après avoir passée les fouilles corporelles, les différents contrôles d’identités, je passai enfin la dernière grille pour me retrouver au cœur de la prison, sans gardiens, dans la cour au milieu des détenus. Les retrouvailles avec mon ami incarcéré furent intenses car il n’était au courant de rien! Puis suivirent les regards des détenus se demandant ce que cette femme, européenne, blanche, faisait dans la prison un jour de non-visite ! Ces regards restent gravés dans mon esprit.
J’ai donc réalisé en collaboration avec Yescka, une peinture sur les murs de l’atelier de gravure « Taller Gráfica Siqueiros » créé par Cesar, lui-même artiste, graveur reconnu à Oaxaca.
Par la suite je suis revenue plusieurs fois en tant qu’intervenante artistique pour discuter de projets avec les détenus puis l’envie et l’idée de créer mon propre projet a mûri. 

C’est là qu’est naît « Proyecto Vándalo ».
J’avais envie de lier ma passion pour le graffiti et la gravure en un seul et même projet.
Ce projet a été réalisé en 5 mois avec 17 détenus et 80 œuvres ont été réalisées.
L’idée été de partir d’un symbole fort issu du graffiti comme une bombe aérosol, de donner comme consigne d’illustrer chacun à sa manière le mot « Vandale » avec la technique de la gravure sur bois et de découvrir la représentation de chaque détenu.
J’ai invité L’artiste Cristofer Diaz, graveur oaxaquénien à se joindre à moi afin d’y apporter sa contribution en mettant à disposition son savoir sur cette technique qu’est la gravure.

L’interprétation du mot « Vandale » est très personnelle et est propre à chacun, elle pouvait tout à fait sortir du cadre du milieu du graffiti du moment qu’ils conservaient ce lien avec la matrice en forme d’aérosol.
Je me suis alors rendu compte que les détenus faisaient références parfois à des choses auxquelles je n’aurai pas pensé… Se nourrissant de leur propre histoire, de moments fort vécus (comme par exemple la guerre civile de 2006) opposant les professeurs de Oaxaca aux policiers (plusieurs morts étaient à déplorer) ou bien encore à la capture et de la disparition de 43 étudiants en 2014 qui avaient été attaqués et tués par des policiers municipaux. Ils ont également fait référence à des braquages de banques et bien sûr au milieu du graffiti.
Dans ce projet, deux gravures ont été réalisées, une première sur un plaque de bois et la seconde sur un volume en bois cylindrique ayant la forme d’une bombe de peinture. 

Afin de financer le projet, j’ai créé un crowdfunding en ligne. Ce financement participatif qui a permis au projet « Vándalo » de voir le jour. Grace à ça, j’ai pu payer le papier, l’encre, le détenu qui s’est chargé de réaliser la découpe des plaques de bois, les bombes de peintures en volume 3D en bois jusqu’aux cadres pour l’exposition. Tout est « Made in jail ». 

L’inauguration de l’exposition eu lieu le 08 juin 2019 au sein même de la prison et fût par la suite exposée dans la galerie « Espacio ZAPATA » et au Centre Culturel et des Conventions à Oaxaca de Juarez.


Comment as-tu ressenti le graffiti là-bas ? Son essence, la scène ?


Il y a selon moi là-bas deux scènes intéressantes bien distinctes. Il y a la peinture faite par les artistes révolutionnaires qui dénoncent par le biais de l’art des inégalités ou des injustices. Ces démarches sont très engagées et traitent généralement du politico social. On les retrouve sous formes de punchlines taguées dans les rues, de collages de gravures, ou bien pochoirs.
Les rues du Mexique en sont remplies. Peut-être une manière de rappeler le muralisme mexicain qui à la suite de la révolution mexicaine été fait pour donner une vision de l’Histoire des luttes sociales par le biais d’un art naïf accessible à tous. J’ai eu la chance lors de mon arrivée au Mexique d’intégrer le collectif A.S.A.R.O (Assemblée d’Artistes Révolutionnaires de Oaxaca). Cela m’a permis de voir et de comprendre leurs démarches depuis l’intérieur tout en étant active au sein du collectif. Interventions dans la rue, manifestations, créations de gravures dans le but de les coller sur des bâtiments symboliques… 

Puis il y a la scène graffiti dite classique, qui est selon moi très, très bonne.
J’ai pu rencontrer des artistes tel que BUSTER (qui est pour moi une grosse référence dans le milieu vandale et le monde du lettering chicano) ou bien peindre aux côtés de HUMO (avec ses personnages stylés) Être en contact avec des mecs tel que HOMIE et bien évidement avec des moins connus qui méritent tout autant de l’être.
À Oaxaca j’ai peint avec AKME, un graffeur local et son crew STREET TALENT. Il avait organisé pour l’anniversaire de son shop de bombes une jam de graffiti à laquelle j’ai participé. J’ai eu l’occasion de rencontrer bon nombre de graffeurs locaux mais aussi venant d’autres états et même d’autres pays.
Les mexicains sont très actif dans le graffiti et le niveau est très bon. 

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