pixel
Now Reading
Contextures, d’Emo de Medeiros

Contextures, d’Emo de Medeiros

Originaire du Bénin, Emo de Medeiros travaille entre Cotonou et Paris. Ce qu’il nous propose, ce sont des œuvres hybrides, un mélange de matériaux, de technologies et de formes qu’il appelle des contextures.

Comme il le dit lui-même, « je fabrique des contextures, j’assemble des textures différentes qui peuvent être des pixels, de l’appliqué, et je les mets en lien. » Voilà ce qu’il annonce et c’est ce qu’il fait, ses sculptures Vodunauts sont des casques de motocycliste, recouverts de petits coquillages blancs qu’on trouve en Afrique, appelés cauris. A l’intérieur de ce casque couvert de cauris est incorporé un écran qui diffuse des courtes séquences vidéo et qu’on ne voit qu’en se penchant sur l’écran enfoncé dans le casque. Une parfaite contexture.

Le cauri a été utilisé dans l’histoire africaine comme monnaie ou comme talisman. J’ai vu le cauri sur des costumes de cérémonie dans le film de Jean Rouch Les cérémonies du Sigui, une cérémonie pour commémorer la révélation de la parole orale aux hommes (bonne raison pour célébrer !) Pour Emo de Medeiros, l’Afrique deviendra le contexte artistique de référence, car grâce à la diffusion d’internet sur le continent se construisent des nouvelles relations qui déconstruisent les anciennes logiques culturelles, et ça ouvre des possibilités incroyables.

Emo de Medeiros se laisse aisément influencer par les formes de la création contemporaine africaine mais aussi par des pratiques artistiques anciennes de l’artisanat béninois. Il travaille sur des supports très différents : la sculpture, la vidéo, la photographie, la performance, la musique électronique, le dessin, les dispositifs interactifs, les installations performatives, la peinture ou les objets connectés. Hybridation, mélange de formes, variété incroyable de matériaux, pas question de s’arrêter à une seule discipline. Et comment ça se passe ? « D’abord il y a l’impulsion, et à partir de là, plutôt que de couper le bonsaï (se dire que ça doit aller là, et pas là), moi, je laisse le truc se développer d’une manière un peu organique. »

Emo de Medeiros ne mélange pas seulement les formes, mais aussi des disciplines comme l’installation et la performance. Ça explose partout, et c’est cette totale hybridation et circulation de formes, de mythes et de mondes se télescopant qui l’intéresse. Pour son installation Kaleta / Kaleta, il s’inspire d’une tradition du XIXe siècle appartenant à des Afro-brésiliens installés au Bénin (un mix de carnaval brésilien et d’halloween) et il transforme cette tradition en installation sonore et visuelle – dans un espace délimité par des écrans, les acteurs, la vidéo et la musique entrent en correspondance. A partir de séquences vidéo, mélangeant des gestes chorégraphiques, des extraits documentaires ou juste des motifs, il fait une reconfiguration plastique et sonore. Toujours des contextures, cette fois-ci spatio-temporels. Le publique est invité à participer, les spectateurs ont la possibilité de se mettre en scène : « L’identification m’intéresse, ce qu’on construit ensemble ».

Son œuvre Points de Résistance est aussi une œuvre performative et collective. Un mur de poings moulés dans des feuilles d’aluminium, peints à la peinture de carrosserie. Ces poings moulés sont les points de résistance et font partie d’une installation sonore. Des enceintes diffusent des archives sonores comme des messages codés diffusés par la Résistance française sur Radio-Londres ou la déclaration d’indépendance du Vietnam, puis on entend Public Enemy, suivi des voix de Mandela, Gilles Deleuze, James Baldwin, Churchill ou Sankara, et la voix de Lumumba, ou encore 2Pac qui parle de la Révolution, ou même de Gaulle qui parle de la Résistance. Une bande son totalement hybride. Des puces NFC et des smartphones donnent la possibilité aux spectateurs d’interagir avec la pièce. « C’est la seule installation où on a côte-à-côte 2 Pac et le général de Gaulle » dit Emo de Medeiros. Il laisse à côté du mur des feuilles d’aluminium pour que les visiteurs aient la possibilité de mouler chacun son propre poing et le laisser au pied du mur, « comme il y a le mur des Lamentations » : un mur de résistance. C’est une invitation aux visiteurs à faire acte de résistance par le mot et le geste, contre l’expansion des totalitarismes actuels. Les visiteurs peuvent créer leur Point de Résistance, puis le prendre en photo et le poster sur Instagram et Facebook, accompagné d’hashtags. C’est cette notion de résistance qui motive les œuvres d’Emo de Medeiros : « Nous vivons dans un monde postcolonial globalisé, hybride et complexe qui demande à être repensé. Que devons-nous déconstruire pour pouvoir bâtir librement le monde de demain, nécessairement planétaire, débarrassé du sexisme, du racisme, obéissant à des valeurs de justice, de vérité, de solidarité, et qui doit donc se défaire des pensées automatiques et ethnocentristes ? Quel monde voulons-nous voir advenir ? Celui où s’affronteront les identitaires de tout poil, fondé sur la notion de race ? Ou celui éclairé par une pensée néo-humaniste, dans lequel la complexité des identifications et des affiliations sera prise en compte dès l’origine et dépouillée des catégorisations réductrices et stérilisantes ? »

Emo de Mederos est exposé en France au Palais de Tokyo, à la galerie Dominique Fiat, et en Afrique : à la Fondation Zinsou ou au Centre Arts et Cultures de Cotonou, à la Biennale de Marrakech ou encore à la Cape Town Art Fair.

Scroll To Top