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D’où viendra la prochaine révolution ?

D’où viendra la prochaine révolution ?

« Jouir sans entraves » résume bien le dualisme de Mai-68 qui nous a sorti du carcan d’une société puritaine pour nous enfermer dans celui de la liberté individuelle et du libéralisme. Plus de cinquante ans après, les jeunes générations comprennent la nécessité de créoliser la société pour provoquer un nouveau choc culturel. Bienvenue dans le XXIe siècle !

Mai-68, révolution « blanche » née dans les écoles et les universités, dans les lieux du savoir, réunit les enfants de l’après-guerre. Ses manifestants sont ceux du baby-boom, des Trente Glorieuses et de cette période de croissance qui les autorise à poser un regard neuf et critique sur eux-mêmes et leur environnement. Ils disent NON à cette société de consommation aliénante. Issus des classes moyennes et aisées, ils veulent rompre le conservatisme de l’ordre social, bâtir un monde fondé sur les valeurs de liberté, de paix et de partage. Cette grande fièvre de libération démarrée aux États-Unis s’étend à l’Europe.

Il y aura un avant et un après-Mai-68 qui ouvrira sur le respect des droits fondamentaux, la défense des droits humains portée par les ONG, des mouvements de révolte qui offriront l’espoir d’une société plus créative et plus juste. En 68, on réclame « l’imagination au pouvoir ». Dirigée contre la société traditionnelle et le capitalisme, le mouvement originairement étudiant a gagné la classe ouvrière, puis pratiquement toutes les catégories sociales sur l’ensemble du territoire, et reste comme l’un des plus grands mouvements sociaux de l’histoire du XXe siècle. Le mot d’ordre « changer la vie » concerne la vie en communauté, l’émancipation des femmes, la libération sexuelle, la critique de l’autoritarisme dans la famille, à l’usine, à l’université et dans la société.

Mais cette contre-culture portait déjà en elle les ferments du libéralisme et de l’individualisme. Elle allait nourrir la future révolution néolibérale des années quatre-vingt et la conversion libertarienne et transhumaniste de la Silicon Valley ; rejet de l’État, de la bureaucratie, autonomisation de l’individu. Les slogans de la rébellion de Mai-68 : « Jouir sans entraves », « il est interdit d’interdire », etc., nous ont libérés du carcan d’une société puritaine pour nous enfermer dans celui de la liberté individuelle. De Charybde en Scylla ? Les baby-boomers ont progressivement préempté les postes de pouvoir en dérapant progressivement hors du cadre républicain. Ils jouissent aujourd’hui sans entraves de retraites confortables. D’où viendra la prochaine révolution ?

Elle sera « noire », « créole », « métisse », elle ne viendra pas des lieux du savoir mais de la rue, des quartiers, des banlieues marginalisées, entraînant derrière elle les jeunes générations quels que soient la couleur de leur peau, leur genre, leur classe sociale. Les moins de trente-cinq ans qui ont compris la nécessité de « créoliser » la société pour la rendre plus ouverte, plus responsable, plus égalitaire, plus collective, plus fraternelle, ces valeurs même de la République dont les jeunes issus de l’immigration, sont aujourd’hui les plus fidèles porteurs. Medine, défenseur de la République, vous voulez rire ? Derrière sa violence qui n’est que le reflet de son quotidien se cache un criant besoin de justice sociale qui n’a d’équivalent ni dans les allées du pouvoir ni dans les sièges sociaux des entreprises. Cette violence est le résultat de longues années de négligences, de compromissions, de manque d’attention porté à l’intérêt général par les acteurs politiques et économiques.

Si la République et ses valeurs a besoin d’être révisée au regard des bouleversements politiques et sociaux, si elle a besoin d’être débarrassée du poids du colonialisme et d’un racisme systémique qu’elle a férocement porté, elle reste au-delà des époques et de ses contradictions l’une des meilleures réponses pour faire vivre la démocratie. Ce n’est plus du côté de la liberté que se retrouvent aujourd’hui les nouvelles générations, mais dans la construction de nouvelles limites pour protéger notre bien commun : le respect, le droit, la justice, l’égalité. Les contre-cultures et les cultures populaires se nourrissent de ces nouvelles relations dans le monde du rap, du jeu vidéo, du graff, de la danse. Si leurs manières peuvent être rugueuses et provocantes elles ne sont que le reflet de la dureté et la violence de leur environnement : la rue, la cité, les contrôles, l’humiliation. C’est un changement radical dans notre vision occidentale que nous devons opérer. Aurions-nous d’autre choix face aux urgences que de passer la main à de nouveaux entrants et de provoquer ce choc culturel pour entrer de plain-pied dans le XXIe siècle ?

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