Nous sommes en 50 après Mai 68. Toute la Gaule…
SPY est espagnol. Artiste urbain depuis le milieu des années quatre-vingt. Il se fait d’abord un nom en tant que graffeur, puis commencera ensuite à explorer d’autres formes artistiques dans la rue. Son travail implique l’appropriation des éléments urbains par transformation ou réplication, le commentaire de la réalité urbaine, et l’interférence dans ses codes de communication. Interview traduite de l’espagnol.

Où et quand l’oeuvre a t-elle été faites ?
Cette pièce a été réalisée en 2015 à Bilbao (Espagne) en collaboration avec une petite galerie d’un ami appelée « SC Gallery ». Nous avions déjà parlé de la pièce à plusieurs reprises et il m’a demandé de la faire à Bilbao. J’aime beaucoup la ville et je la connais assez bien, donc cela m’a semblé être un bon cadre pour l’installer. Nous avons commencé à chercher des endroits appropriés où il y avait beaucoup de trafique et c’était une rue assez représentative. Nous avons collecté les 1000 € auprès de diverses sources qui ont décidées de s’associer au projets et nous avons finalement pu la réaliser.
Pourriez-vous nous définir le concept / le message de la pièce ?
Le mot CRISE était créé avec 1000 € en pièces de 2 centimes.
L’installation a eu lieu dans un quartier central de la ville de Bilbao.
Toutes les pièces ont disparu en moins de 24 heures.
Le fait d’écrire le mot CRISE sous forme de cadre est totalement évident en soi, mais je cherchais un message clair et percutant et le mot était un moteur pour le transmettre. Il n’y avait pas spécialement de « plasticisme » ou de prétention esthétique dans l’œuvre, simplement l’action, la conséquence et la réflexion. J’ai recherché l’implication du publique en tant que partie active du travail, susciter une réaction et faire participer le spectateur était fondamental. Il n’était pas particulièrement clair si les gens réagiraient, mais il était presque certain qu’ils le ferait et c’est ainsi que la pièce a été conçue.
Étant donné que je n’utilisais que des centimes, il ne s’agissait que de petite monnaie de change à faible usage, que les personnes ayant un certain confort économique rejettent presque. La plupart des gens considèrent que deux centimes ce n’est rien, on ne se pencherait même pas pour ramasser une pièce si on la trouvait sur le sol, mais quand vous avez de vrais problèmes financiers ou avez besoin d’optimiser vos ressources au maximum, vous ne regardez plus une pièce de deux centimes de la même manière. J’ai de la famille au Venezuela où la valeur de la monnaie a presque complètement disparue. Et deux cents (US) peuvent représenter beaucoup. Actuellement, un dollar représente 2 233 234 millions de bolivars vénézuéliens. Mais il n’est pas nécessaire d’aller au Venezuela pour voir ça, en Europe, en Espagne, en France, et dans d’autres pays la même chose se passe avec l’économie d’une famille où 5 € peut représenter beaucoup pour les achats ou les ressources du mois. Au moment de l’enfermement dû à la pandémie, nous avons vu des files d’attente interminables pour l’aide alimentaire avec des gens qui n’avaient pas les ressources pour nourrir leurs familles, se rendant dans les centres sociaux à la recherche d’aide.

Quel est le cheminement intellectuel qui vous a amené à ce message et à l’articuler ainsi ?
En Espagne, il y a une expression que l’on attribue à une personne qui gagne 1000 € : les «mileurista». Cela signifie que vous êtes un travailleur à temps plein qui perçoit un salaire égal ou inférieur à mille euros et que vous avez généralement une formation supérieure aux tâches que vous effectuez. Cela semblait être une notion très symbolique sur laquelle travailler. Une génération qui a vécu une situation précaire entraînée par la crise de 2008 où avoir un emploi n’équivaut plus nécessairement à gagner sa vie et où il faut avoir un ou plusieurs jobs pour pouvoir vivre et élever une famille. Une catégorie d’ouvriers pauvres, bien que polyvalents et surqualifiés.
Je cherchais à provoquer une réaction qui déclencherait la disparition totale du mot. Les pièces étaient faciles à cueillir et elles étaient à une hauteur accessible. Nous avions d’ailleurs à peine fini de placer les dernières que quelqu’un m’a demandé si elles pouvaient être prises. Je haussais les épaules sans dire un mot, lui faisant voir qu’ils étaient dans la rue et qu’il était libre de faire ce qu’il voulait. Il s’approcha discrètement et en cueillit quelques unes. Il ne l’a sûrement pas fait par nécessité, mais il sentait clairement que l’œuvre était là pour que les pièces soient prises. Cette première action a déclenché le reste. Il y avait des gens qui enlevaient les pièces pour le plaisir, et d’autres qui passaient beaucoup de temps à les déchirer avec des ustensiles et qui les enlevaient par nécessité. Je suis repassé devant à plusieurs reprises et j’ai vu comment l’œuvre se décomposait petit à petit, même si je ne m’étais jamais attendu à ce que ce soit en si peu de temps. Le lendemain, vous pouviez encore comprendre le mot mais seulement avec les résidus de silicone restés sur le mur.
La monnaie physique est un outil d’échange avec lequel nous interagissons au quotidien, dont dérivent des composants tels que la gestion émotionnelle, le contrôle des impulsions et nous devons établir un équilibre pour y avoir une relation psychologiquement saine.
Comment avez-vous réalisée l’œuvre en termes de technique et pourquoi avez-vous choisi cette façon de le faire ?
La pièce a été préalablement préparée dans mon atelier. Une fois que nous avons eu les mesures du mur, un gabarit a été conçu pour pouvoir faire les lettres à une échelle appropriée en fonction du diamètre des pièces et du nombre estimé qui serait nécessaire. Il était également très important qu’il y ait une relation d’échelle appropriée avec une personne de taille moyenne. L’échelle des lettres a été adaptée jusqu’à atteindre mille euros en pièces de deux centimes. Après cela, j’ai fait plusieurs tests avec différents types de silicones souples afin que les pièces ne collent pas trop au mur et soient facilement retirées à la main par les gens. Tout était préparé par fragments de petite sections car les pièces pesaient beaucoup. Elles ont été collées sur un transfert en vinyle afin de pouvoir être facilement placés sur le mur. Ensuite il suffisait de tracer les lettres sur le mur, et d’aller placer les fragments un à un.

Il y a un aspect très sarcastique à utiliser l’attrait pour l’argent comme matériau central d’une pièce/performance. L’avez-vous fait consciemment ? Quelle est votre position à ce sujet?
Faire participer les gens était vraiment la partie la plus importante pour moi, pas l’installation ou le résultat final. Utiliser l’argent comme matériel artistique pour créer des réactions est un moteur très puissant si vous recherchez la participation du public. C’était la première fois que je l’utilisais sans qu’il s’agisse d’un support de transaction pour un autre matériel. Il y a eu différents types de réactions, principalement connectées au fait de perdre, donner ou jeter de l’argent sans aucune transaction. Allez-vous donner mille euros ? qu’allez-vous faire de cet argent ? La monnaie physique est un outil d’échange avec lequel nous interagissons au quotidien, dont dérivent des composants tels que la gestion émotionnelle, le contrôle des impulsions et nous devons établir un équilibre pour y avoir une relation psychologiquement saine. Les gens ont une relation émotionnelle avec l’argent qui régit pratiquement leurs vies et leurs émotions Nous croyons que si nous avions plus d’argent, nous aurions moins de problèmes, ou que l’argent définit qui nous sommes, etc…. Mais lorsque vos besoins vitaux dépendent de l’argent, votre relation et votre perception changent radicalement.
Avez-vous reçu des critiques pour cela ?
Il y a toujours un équilibre délicat dans la navigation entre ces limites de la perception morale et sociale. Travailler avec l’argent comme outil, et avec le besoin de revendiquer, suppose un travail d’introspection artistique qu’il faut peser et assumer si le message transcende la réception de l’œuvre. Je crois que l’art peut être capable de transformer l’être humain et la société, et franchir différentes barrières morales lorsque soumises à un contexte qui peut remettre en cause ces paradigmes, il revient à l’artiste de se demander s’il vaut la peine d’utiliser ces dynamiques pour lancer un message qui contribue à améliorer une conscience collective. Si vous décidez de le faire, c’est une responsabilité que vous devez assumer dans tout le travail et très probablement dans le débat ou les critiques qui peuvent en découler. La question sera de savoir si ce débat peut remettre en question ce que l’œuvre entend questionner.

Y a-t-il une histoire ou une anecdote spécifique liée à la pièce que vous aimeriez ajouter ?
Quand je suis allé à la banque demander 1000 € en pièces de 2 centimes, ils m’ont regardé étrangement et ont pensé que je leur faisais une blague. Au début, ils ne voulaient pas me les donner et ils m’ont demandé pourquoi je les voulais spécifiquement en pièce de deux. Je leur ai dit la vérité, qu’il s’agissait d’une œuvre artistique. Après un moment de conversation, ils ont accepté mais ils ont dû aller les demander au bureau central et à la Banque d’Espagne. Ils m’ont prévenu que je devais apporter une brouette pour pouvoir les transporter car le poids était assez élevé.
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Pour en savoir plus sur SPY :
Site Web : SpY-urbanart.com
Instagram : @spyurbnart
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LA PILULE ROUGE qu’est ce que c’est ? Pourquoi ? A quoi bon ?
Relisez le texte manifeste disponible ici.
Et retrouvez la liste des interviews déjà publiées sur le profil des auteurs.
Nous sommes en 50 après Mai 68. Toute la Gaule est occupée par les condés … Toutes ? Non ! Un petit magazine d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur. Et la vie n'est pas facile pour les garnisons de CRS des camps retranchés de l’Elyséum, Matignum, Sénatum et Quaidesorfèvrum .... Belenos, dieu des arts et Toutatis, dieu de la justice, observent ce qu’il se passe depuis le ciel et tentent d’y voir clair …