Ça s’appelle comme ça parce que c’est un billet d’humeur et a priori quand t’es mort, t’en as plus rien à foutre.
Aux dernières nouvelles, le petit monde de Twitch va être un chouïa bouleversé. Pour les plus dinosaures d’entre nous, Twitch est une plateforme vidéo basée sur le streaming live. Si vous ne savez pas non plus ce qu’est le streaming, barrez-vous, vous allez vous emmerder. Il y a de nombreuses lunes, le site était avant tout le terrain des streamers de jeux vidéo, puis ça s’est élargi. Aujourd’hui n’importe qui peut trouver son bonheur avec des chaînes spécialisées dans à peu près tout. Ciné, actualités, musique, politique, séries, sports, sexe, philo, science, histoire, débats… Pareil niveau forme, ce n’est pas uniquement du facecam, des émissions produites de manière de plus en plus soignée sont là aussi. Sans parler des médias classiques. Radios, télés et autres ont fini par s’incruster au milieu de tout ça avec la subtilité d’un père divorcé qui squatte une soirée étudiante. En 2014 Youtube (donc Google) voulait racheter Twitch pour 1 milliard mais c’est Amazon qui les double pour 970 millions. Le PDG twitcher explique alors que sa plateforme partage avec Amazon « les mêmes valeurs et une vision à long terme ». En langage normal ça signifie que même avec moins d’argent, l’accord était plus avantageux niveau indépendance du site. Ou alors il s’est dit que le nouveau proprio saurait motiver les streamers à pisser dans une bouteille plutôt que d’interrompre un live.
Le modèle économique est basique, les revenus viennent principalement de la pub et des abonnements des viewers. Et ça fait beaucoup. Sauf qu’il va falloir dire adieu à certaines choses.
Dan Clancy est le « président de Twitch », selon une mauvaise traduction. Malgré l’intitulé ce n’est pas un enfant avec une cape et une manette dans chaque main mais un énième business man de 58 ans. Pire, il n’a aucun lien avec Tom Clancy, ni dans la parenté ni dans le style. Pour rappel, Tom est l’auteur de romans d’espionnage adaptés en jeux vidéo. Dan est l’auteur de mails chiants adressés à ses employés qu’il appelle « partenaires » alors qu’il pompe la majorité de leurs revenus. Un peu à la façon du boss de Uber qui explique que chaque livreur est son propre patron : technique de chien mais technique efficace. En revanche ne vous fiez pas au ton jovial-on-va-bruncher-entre-potes-après-un-pingpong, a priori les streamers récalcitrants n’auront que des splinter selles à se mettre sous la dent. Dans une lettre ouverte publiée il y a quelques jours, il explique que c’est la fin de l’abondance®.
Avant, les revenus des abonnements, c’était 70% pour le streamer et 30% pour la plateforme. Maintenant ce sera 50/50. En bon noyeur de poisson, le message revient sur une anomalie en guise de raison principale. Le deal 70/30 n’a jamais été officiel, il était réservé aux « gros » streamers, les petits étant déjà plafonnés au 50/50. Pour eux ça ne change rien, ça doit autant les émouvoir qu’un prof qui râle parce qu’il n’a plus de vin à la cantine alors que toi tu dois feinter pour avoir un fromage en plus du dessert*. Une fois essoré l’argument audacieux selon lequel cette nouvelle répartition serait plus égalitaire, vient la question du nivellement par le bas. Après tout, Twitch pourrait aussi augmenter tout le monde en 70/30. D’où l’évocation des frais de la plateforme dont on ne parlait pas jusque là pour une bonne raison : « nous abordons rarement ces chiffres parce que, très franchement, vous ne devriez pas avoir à vous en soucier. Nous préférons vous laisser vous concentrer sur ce que vous faites de mieux. » En gros un streamer reste avant tout un demeuré mais là les adultes parlent donc on monte dans sa chambre et on continue de faire des cabrioles devant sa caméra svp. D’ailleurs il précise immédiatement que si tout sera moins payé c’est parce que le stream ça coûte cher donc ta gueule. Petit coup de cœur pour la phrase mimi vers la fin, « le meilleur Twitch est celui que nous construisons ensemble ». Normalement si tu parles comme ça en 2022, tu finis président de la république française et c’est pas un compliment, on y reviendra plus bas.

Alors faut-il plaindre les gros streamers qui verront leurs revenus diminuer ? A moins d’un effort physique surhumain, c’est difficile. D’un point de vue de gueux, la situation rappelle le conflit court mais intense entre Scarlett Johansson et Disney autour de Black Widow. Son contrat n’a pas été respecté donc elle avait raison d’attaquer. Savoir que Disney a été contraint de lui reverser une grosse somme pour s’arranger est plutôt rigolo. Mais c’est impossible de s’identifier à l’un ou l’autre. Quand un millionnaire se fait maltraiter par un milliardaire, le seul réflexe à avoir c’est de se resservir du pop corn. Les fétichistes de David et Goliath trouveront bien d’autres exemples plus cohérents dans leur vie de tous les jours pour se palucher joyeusement. Autre obstacle à l’empathie, pas mal de gros streamers sont des mutants dont le super pouvoir consiste à être détestables en toutes circonstances. Ils ne font vraiment pas exprès, c’est inné. Ainsi, suite à la décision de Danny, on a eu des réactions très mesurées. Respirez un grand coup et comme on dit chez eux « essayez de ne pas rire ».
– des exilés fiscaux se sont plaints de l’égoïsme de Twitch
– des stars ont fait semblant de plaindre les streamers à moins de 50 abonnés qu’ils ignorent le reste de l’année
– des millionnaires ont annoncé solennellement être désormais forcés de multiplier les pubs et placements de produits pour compenser, quand ils ne parlaient pas tout simplement de faire des appels aux dons
– des présentateurs télé 2.0 ont expliqué à des smicards que leur métier était quand même vachement pénible, sans oublier la charge mentale
– comme le veut la tradition, personne n’a engagé la moindre piste de réflexion sur le problème inévitable de l’hégémonie d’une plateforme qui peut prendre ce genre de décisions tous les 4 matins sans consulter personne.
Déconnexion, hypocrisie, cynisme, idiotie, soumission, un cinq majeur légendaire. Toujours est-il qu’en termes de solutions, il est bien plus simple de ponctionner un peu plus son jeune auditoire que de remettre en cause une multinationale. A priori le 1er est plus enclin à se laisser dépouiller que la seconde. Outre ce pragmatisme à toute épreuve, l’élite des streamers est souvent apolitique. A ce niveau ce sont même des extrémistes de l’apolitisme. Ils peuvent participer à tous les projets les plus improbables moyennant paiement mais il suffit de demander « vous êtes plutôt de droite ou de gauche ? » et même le moins dégourdi aura sauté par la fenêtre avant la fin de la phrase. Bon ça marche aussi avec « bonjour, c’est les finances publiques » ou « je suis le père de Gwendoline, lequel d’entre vous a envoyé des DM à ma fille » mais c’est pas le sujet. Forcément quand toutes tes prises de paroles sont conditionnées par « ne jamais prendre parti pour pas diviser l’audience » tu te retrouves un peu con quand tes problèmes viennent directement de l’inaction face aux gafam qui se torchent avec le droit du travail.
En revanche tout ça ne concerne qu’une poignée de gens extrêmement bruyants, certes populaires mais pas représentatifs. Oui, il est là, c’est le moment « not all streamers », sortez vos lunettes 3d.
Le gros du peloton fait ça par passion et n’est absolument pas concerné, du fait de leur faible audience. Cependant ce sont aussi eux la force de travail de la plateforme. C’est juste qu’ils n’existent pas publiquement et ont peu d’espoir de toucher le gros lot, à la manière du peuple miniature forcé de fabriquer l’énergie du vaisseau de Rick Sanchez ou les gnomes voleurs de slips.
Même chez ceux qui ont du succès, certains n’ont pas été amputés de la honte à la naissance. Ils savent que leur position est privilégiée et n’ont pas spécialement envie d’emmerder le monde avec des soucis que certains rêveraient d’avoir. D’autres envisagent de s’adapter sans forcément reporter cette déconvenue sur leur public.
Enfin, il leur arrive aussi d’utiliser leur notoriété pour mobiliser les viewers sur certains sujets. Que ce soit un simple relais d’infos, de la prévention, etc. En bonne télé 2.0, Twitch a aussi ses émissions caritatives. En France la plus emblématique est sans doute le Zevent.
Il s’agit d’un événement façon Avengers Assemble réunissant de nombreux streamers célèbres qui s’unissent pendant 50 heures afin de récolter un max de dons pour des assos (plus de 10 millions cette année). Une sorte de mix entre Téléthon et concert des Enfoirés. Sauf que leur public n’a pas besoin de sonotone, il souffre simplement d’une légère allergie aux chromosomes XX ainsi qu’aux basanés. Comme tous les happenings du genre, la chose a ses défauts avec le côté opportuniste qui permet à certains spécimens peu reluisants de redorer leurs blasons en un weekend. Mais aussi ses qualités, à savoir la visibilité ainsi que les dons faramineux. A une période où tout le monde feint de se rendre compte que le statut d’influenceur revient à homme-sandwich, voir des gens de ce milieu s’activer pour une bonne cause, c’est pas si dégueu. Bien entendu c’est une goutte d’eau dans la mesure où il faudrait un Zevent de 365 jours pour espérer résoudre quoi que ce soit. Rien d’inédit, c’est la force et la limite du principe même de charité depuis le jour où un con a estimé que lâcher régulièrement un bout de sa part aux plus faibles était moins dur que buter le chef de la tribu.
Cependant, cette édition a été marquée par une tempête dans un verre d’eau. Le locataire de l’Élysée s’est fendu d’un tweet de félicitations. Ça fait plusieurs années qu’il le fait, c’est gênant à chaque fois, how do you do fellow kids etc. Mais là, plusieurs streamers (plusieurs dans le sens 4 ou 5 sur 60, c’est pas la CGT non plus) n’ont pas pu se retenir et se sont mis à l’attaquer. Certains en disant que c’était du foutage de gueule vu sa politique, d’autres en indiquant que sa déclaration était strictement inutile et qu’ils s’en tamponnaient le coquillard, d’autres encore en l’insultant directement.
Des médias qui ne parlaient pas spécialement du Zevent se sont jetés sur l’occasion pour en faire des caisses sur « Antoine Daniel ce streamer qui insulte le président ». Ouais ils se sont pas emmerdés ils ont juste pris le plus connu, ça revenait à peine des congés d’été et les jeunes stagiaires n’étaient pas tous dispos. Couvrir un non-événement pareil sous cet angle indique une chose assez claire. Les gros médias (c’est comme les gros streamers, ils ont plus d’audience que les petits médias mais c’est des enculés), vivent dans l’illusion que le président est toujours aimé par les citoyens français, et non critiqué. Que le côté investigation soit tombé en désuétude dans la plupart des rédactions, ok. Mais là on est au niveau d’un adulte qui croit encore au père noël.
Autre tristesse : personne ne veut normaliser le fait d’insulter systématiquement les chefs d’état à chaque action caritative. Pas seulement pour se défouler mais parce que fondamentalement, ce sont eux les responsables. Le caritatif, l’associatif, n’existent que par défaut face à l’inaction des uns et les mauvaises décisions des autres. Dissocier ça de l’humanitaire est sans doute la pire chose qui nous soit arrivée depuis l’invention des ballerines. Ça rend toutes les actions caritatives chiantes. Qu’est-ce qui est le plus fun, remercier des donateurs ou traiter des dirigeants de noms d’oiseaux ? On est d’accord. Même l’abbé Pierre le faisait à sa façon, des trentenaires fans de manga peuvent faire un petit effort.
Pour ceux qui penseraient que ça dénaturerait ce type d’opération, imaginons un père qui a jeté sa famille à la rue. Voyant sa mère désespérée, l’enfant se démène et arrive à construire un petit abri pour l’hiver, ça ne durera pas mais ça force le respect des badauds, qui en parlent de plus en plus. Quand toute la ville en parle, le père sort de chez lui, prend son gosse sur ses épaules, parade avec dans tout le quartier et crie à qui veut l’entendre qu’il est sacrément fier de ce petit, il a le cœur sur la main et en plus c’est tellement mature pour son âge, ah oui dis donc, avant de le redéposer dans son abri de fortune jusqu’à l’année suivante. Détail relativement important : dans ce cas précis, moins le père s’occupe de sa famille, plus il touche de l’argent. De tout temps et sous toutes les latitudes, les compliments d’un homme de pouvoir envers une action caritative, c’est ça et pas autre chose.
Donc quitte à garder une attitude de connards blindés de thune, utilisez votre connard-privilège face aux gens du dessus. Déjà parce que les réactions sont toujours marrantes. Et c’est vachement plus facile de s’identifier à un millionnaire s’il insulte le président ; on n’a jamais fait plus fédérateur que ça dans ce pays.
*la technique c’est de planquer la tranche de fromage sous l’assiette, par contre si c’est plus gros genre un triangle de camembert, faut le foutre dans ton froc et à partir de là c’est toi et ta chance.