Journaliste indépendant, Sullivan Lépine est également artiste et producteur de…
La série Lost in California vient tout juste de décrocher le prix de la meilleure série « moins de 20′ » au festival de la fiction 2022 à La Rochelle. Faisant suite aux premières aventures de Larry dans Lost in Traplanta, les cinq épisodes sont à voir sur le site Arte TV. Entretien avec son réalisateur, le lyonnais Mathieu Rochet.
Salut Mathieu Rochet, dis-nous, qui es-tu ? Qu’est-ce qui t’a amené à réaliser la série Lost in California ?
Alors je suis fan de rap depuis 1990-1991, Run DMC, Public Enemy etc. J’étais très fan de cette culture et j’avais toujours rêvé d’être DJ. J’ai acheté ma première platine quand j’avais 16 ans et avec un copain qui en avait une autre, on les a mis en commun et on est en quelque sorte devenu un binôme de DJ’s. De fil en aiguille je suis devenu DJ en radio, vers 20 ans. Des copains qui travaillaient à la radio cherchaient quelqu’un pour réaliser des interviews en anglais et c’est moi qu’ils ont invité à le faire car je parlais cette langue. J’ai tout de même décliné une interview de Cannibal Ox à la grande époque du label Def Jux car j’étais intimidé. J’adorais ce groupe en plus…
La deuxième interview que l’on m’a proposée était celle de Madlib. Je me suis donc retrouvé tout seul pour monter à Paris depuis Lyon dans le but d’interviewer Madlib. Je ne savais pas trop comment m’y prendre. Le soir je vais au concert de Madlib et Peanut Butter Wolf. J’attendais à la fin, j’étais timide à l’époque. Ils sont passés devant moi et je n’ai rien osé dire. J’ai tout de même trouvé le moyen de les croiser le lendemain. J’ai fait l’interview et ça m’a lancé ! Je suis resté DJ et on a monté Gasface, on est donc devenus éditeurs de fanzines. Fanzine qui est ensuite devenu un magazine.
Au début des années 2010, l’aventure Gasface, m’a amené jusqu’à chez Arte où j’ai commencé à faire de la réalisation. Ce que je fais toujours aujourd’hui. Et donc les séries Lost in Traplanta et Lost in California.
Par rapport à la réalisation, as-tu suivi une formation technique ou tout s’est-il construit de manière empirique ?
Oui et non. Au début des années 2000 je voulais faire du journalisme et j’étais en fac de droit à l’époque et je me dirigeais vers une maîtrise en Sciences Po. Mon pote Damien avec qui j’avais acheté la platine, était étudiant en communication et me décrivait sans cesse des salles qui étaient tout le temps vides avec une abondance de matériel. Personne ne les utilisait et moi je rêvais d’apprendre a faire ça. J’ai donc rejoint le cursus d’études de Damien pour profiter du matériel vidéo à disposition. C’est malgré tout empirique car on devait mentir aux gardiens des salles prétextant un cours pour accéder au matériel, ce qui était faux ! Une fois dedans on se démerdait donc seuls. C’est de cette manière que j’ai eu accès à des caméras et que j’ai appris le montage.

Tu es donc arrivé chez Arte grâce à Gasface, comment est née l’idée de créer cette mini-série qui commence avec Lost in Traplanta, la première saison ? Peux-tu également nous la pitcher ?
Lost in Traplanta, c’est l’histoire de Larry, un Français qui vit à Atlanta et qui est un peu à l’ouest, qui essaie de retrouver et de reformer le groupe Outkast pour impressionner son ex. Je rêvais depuis longtemps de réaliser quelque chose sur Atlanta mais je ne savais pas sous quel angle l’aborder.
J’avais vu un sketch des comédiens Key & Peele sur Outkast. Je les voyais s’amuser avec la culture alors que tous les journalistes et le public attendaient un retour d’Outkast depuis dix ans. Je trouvais donc ça drôle que des comédiens s’amusent avec le fait culturel que l’absence d’Outkast était un fait aussi marquant que l’un de leurs albums. Ce groupe s’est effectivement arrêté à son apogée. Ni séparé, ni fâché, ni actif. Un groupe qui s’arrête au sommet de sa gloire, un peu comme Michael Jordan la première fois, ce qui reste rare dans le rap.
Je me suis donc dit qu’il fallait aller à Atlanta et retrouver ces gars. Quand bien même c’est impossible de les retrouver, il fallait aussi suivre leur trace en enquêtant sur leur héritage musical qui est, en autres, la trap.
Dans la deuxième saison Lost in California, on retrouve aussi Larry, qui a semble-t-il, de nouvelles peines amoureuses et qui part à la recherche de l’album Detox de Dr. Dre (qui n’est jamais sorti), pour impressionner sa nouvelle copine.
Son personnage est en quelque sorte jeté en pâture et le spectateur ne connaît rien de son passé ni des raisons pour lesquelles il se retrouve à Atlanta ou à Los Angeles. Larry a-t-il un passé ou son existence commence-t-elle à l’instant où la série commence ? Comment as-tu écrit le personnage de Larry ?
Oui il a un passé ! En général dans un film on essaie d’étoffer un personnage. Dans d’autres versions écrites de la série il y avait beaucoup plus de détails sur les raisons de sa présence à Atlanta. A la base je l’avais imaginé fils de préfet Camerounais. Il avait étudié aux USA et était banquier d’affaires à Atlanta.
Il avait ensuite tout perdu, son job, son appartement, sa garde-robe, à cause d’une strip-teaseuse. Il y en a beaucoup là-bas. Il n’osé pas rentrer au pays par fierté. J’ai construit le personnage sur cette back story, ce qui explique sa faculté de se mettre dans des histoires pas possible par orgueil et se lancer à la poursuite d’Outkast ou de Detox.
Dans ses aventures, aussi bien à Atlanta qu’à Los Angeles, Larry rencontre un certain nombre d’acteurs de la culture locale. La série est tout à la fois fictive, humoristique mais aussi documentaire. J’ai noté qu’on ne savait jamais à quel artiste il parlait, ce n’est précisé qu’à la fin au générique, ce qui plonge le spectateur au même niveau que lui dans son désarroi et son incrédulité et amplifie le comique de la situation. C’est une série à la croisée de beaucoup de genre, comment la définirais-tu toi, en tant que réalisateur ?
Je la qualifierais de comédie documentaire. Mon modèle étant Borat. Ce qu’il présente comme une comédie en présentant un personnage outrancier en décalage énorme est dans le but de recueillir des réactions vraies sans que personne ne sache qu’il on en face d’eux Sacha Baron Cohen, un élégant londonien grimé en mec à moustache. L’acteur Kody Kim se présente donc aux gens en tant que Larry.
Le but de la comédie était de se plonger au cœur d’une ville et d’y découvrir ce que les gens y font. Le but était l’immersion et la découverte d’une culture au travers ses acteurs. Et j’aime la comédie. Avoir un personnage fictif qui ne connaît rien prenait les rappeurs un peu au dépourvu et avoir un mec comme Larry dans leurs pattes leur a permis d’avoir un discours qu’ils n’ont pas l’habitude de tenir. L’idée était d’aller provoquer des situations plutôt que de les attendre et les observer. Un peu comme faisait aussi Werner Herzog.

On comprend qu’il y a une partie scénarisée dans la série et l’autre d’improvisation. A quel moment le scénario laisse place à l’improvisation et toi comment te positionnes-tu en tant que réalisateur, notamment concernant la direction d’acteur ?
Déjà, je ne dirige qu’un seul acteur, je ne dirige que Larry. L’idée est ne pas avoir l’impression qu’il est dirigé. Je cherchais à ce qu’on ait l’impression que tout est accidentel. Larry est nul. Je voulais qu’il ne rencontre les bonnes personnes que par chance. Il est nul pour trouver Dr. Dre ou Outkast mais très chanceux pour trouver des personnes pertinentes. On a fait des répétitions de telle ou telle question qui devait provoquer l’étonnement. J’ai surtout travaillé sur ça avec Kody qui joue le personnage de Larry.
Par exemple Larry va chez un producteur dont il pense qu’il a travaillé avec Outkast alors que ce n’est pas le cas. Le producteur lui fait écouter de la trap mais ça n’intéresse pas du tout Larry qui ne pense qu’à trouver Outkast dans le seul but d’impressionner sa copine. Il ne demande jamais par exemple « explique pourquoi Outkast ou Dr. Dre c’est intéressant ? ». J’ai aussi casté Kody car je cherchais un acteur qui soit capable d’improvisation. J’ai beaucoup fréquenté les scènes de stand-up de Paris dans ce but mais je ne trouvais pas. Ma femme m’a proposé qu’on aille en vacances à Bruxelles, et je me suis rappelé qu’il y avait ce gars marrant à la télé là-bas ! Kody Kim ! Que je trouve incroyable.
On s’est rencontré et au début je ne le trouvais pas drôle, je pensais m’être planté de gars. Très poli, très carré. Il s’est avéré que c’était exactement la personne que je cherchais ! Il a toujours été généreux, précis, très à l’écoute.
C’est finalement très littéraire comme approche. Le protagoniste se lance dans une quête dont le spectateur sait que l’objet est impossible. Il le fait pour une histoire d’amour, c’est presque un roman initiatique ou homérique dans le fond de l’histoire. A quel point la littérature t’a influencé dans ton travail ?
Bonne question… Il y a un truc c’est vrai dans le cinéma et dans la littérature, il y a une volonté de voyage, de parcours initiatique, qui est la base de l’apprentissage de l’écriture d’un scénario. Chose qui était effectivement très bien balisée dans la mythologie. Prenons un gars qui a un défaut, souvent l’orgueil, il ne sait pas que ça ne va pas et doit ensuite le transcender. Le prétexte est souvent l’amour. Le livre, la série ou le film n’est pas là pour lui apporter ce dont il a envie mais ce dont il a besoin.
En ce qui me concerne, c’est plus le cinéma qui m’a inspiré. J’ai vu plus de films que je n’ai lu de livres. Ce qui m’intéresse dans une histoire et lorsque le personnage est confronté à une situation qui fera de lui une personne un peu plus grande.

Quelles sont tes références cinématographiques ?
Scorsese bien sûr. Tarantino. C’est arrivé près de chez vous. Tu vois ce faux documentaire ? (Réalisé en 1992, avec Benoît Poelvoorde, NDLR). Il a été très marquant pour les gens de ma génération. Je regardais aussi beaucoup de films de kung-fu, beaucoup de cinéma asiatique. Wan Kar Wai, Johnnie To, Kurosawa. C’est certainement Kurosawa qui m’a fait bascule dans la cinéphilie quand j’avais 18 ans. Kitano aussi. J’avais un gros appétit de vidéo clubs, je louais beaucoup de cassettes. Mon amour pour le cinéma me vient aussi de mon frère qui a 5 ans de plus que moi et qui m’a initié à de nombreux films, Reservoir dogs, Les affranchis, les films de Tom Cruise, ceux de Tony Scott aussi.
Quand j’étais plus petit, ma mère ne voulait pas qu’on regarde de films à la maison, on regardait donc La dernière séance d’Eddy Mitchell mais seulement le cartoon avant le western. Tex Avery, Bugs Bunny sont des choses que je regarde encore avec mon fils.
Merci infiniment Mathieu. Finissons avec un petit portrait chinois. Si tu étais un album de rap?
Infamous, de Mobb Deep.
Un rappeur ?
Prodidy, de Mobb Deep.
Un producteur ?
RZA, du Wu-Tang Clan.
Un réalisateur ?
Billy Wilder, mais en rêve…
Un acteur ?
Al Pacino.
Un écrivain ?
John Fante.
Un livre ?
Crimes et châtiments, de Dostoïevski.
Un animal ?
Un ours !
Une destination ?
Les Cévennes.
Tu as lu Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson ?
(Rires) J’ai fait un peu de ça cet été ! Je suis allé dans les Cévennes mais c’était moi l’âne pour le coup, ma femme marchait devant et me tirait (Rires), on n’avait pas assez d’eau, pas de bonnes chaussures. J’avais des Air Force One.
Stevenson n’avait pas de Air Force One !
Non c’est vrai, il n’avait que des sabots. Mais il avait un âne…
Propos recueillis à Lyon le 30 août 2022.

Journaliste indépendant, Sullivan Lépine est également artiste et producteur de hip-hop connu sous le nom de Aneeway Jones. Il a travaillé avec, entre autres, Akhenaton du groupe IAM, Napoleon Da Legend et les chaînes de télévision Canal Plus et Bein Sports. Il est aussi le co-fondateur du label Paraprod Music.