Depuis 2017, les vagues de dénonciation pour agressions sexuelles et/ou viols se multiplient dans tous les milieux culturels ou non. Un des grands projets du ministère de la Culture est donc de rendre cette dernière plus safe. Il était temps que ça bouge, non?
Sur le site du ministère de la culture, l’égalité est promue par la lutte contre les discriminations et la recherche de la diversité des profils. Elle se concentre sur les inégalités de genre, dont les réalités ne sont plus à démontrer. Pourquoi cette focale culturelle ?
Professionnaliser, une nécessité dans tous les secteurs culturels
Un des points aveugles est la nécessité de rendre la culture plus professionnelle, la sortir des familiarités dangereuses, des ambiances « cool » propices aux débordements. Le projet du ministère s’était d’abord centré sur le Centre National du Cinéma (CNC) avant le Centre National de la Musique (CNM). Les subventions de l’un comme l’autre sont désormais conditionnées à la formation « prévention des Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) ». Il faut présenter l’attestation de formation justifiant des connaissances acquises pour espérer le sésame. Abd Al Malik, artiste et réalisateur ayant reçu les 3h de formations courant septembre, nous le confirme. Un premier pas vers une professionnalisation du secteur culturel ? Pas si sûr. C’est d’ailleurs ce qui rend cette formation si « nécessaire » pour Abd Al Malik, qui se dit « étonné, voire choqué du nombre d’hommes pour qui les gestes et comportements déplacés semblent normaux ».
A croire que dans le cinéma, la relation libidinale est de rigueur et que la sexualisation des relations est un passage obligé dans la Culture. Il était temps que ça bouge. Cette vidéo présentant le problème dans un milieu professionnel lambda devrait faire pâlir nombres de réalisateurs, metteurs en scène ou producteurs de musique.
Pourtant, toujours rien sur le théâtre, malgré les appels lancés sur la toile par Marie Coquille Chambel, journaliste, comédienne et youtubeuse vite rejointe par des centaines d’autres comédiennes.
Le @metoothéâtre, emboîtant le pas au @musictoo, dénonce des actes criminels de metteurs en scène, acteurs, et autres, couverts par les institutions (Comédie Française ou les Cours Florent, entre autres).

Rien sur ces écoles ou établissements de prestige, malgré un l’axe développé par le ministère : mobilisation des établissements supérieurs d’enseignements culturels ? Etrange. Aucune mise à pied des personnes condamnées ? Non, elles restent en place et ne sont pas inquiétées par leurs pairs.
Jean-Michel Journet, manageur, éditeur et surtout co-fondateur de @musictoofrance, nous indiquait que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, s’engageait « de façon très franche sur les affaires du conservatoire de Paris et de Chloé Briot », mais que les affaires touchant les musiques actuelles restaient « sous le radar du ministère ». Deux poids, deux mesures ? Discrimination ? La question de l’égalité ne semble pas encore aller jusque-là.
La culture du viol, la racine du mal
L’enjeu est de travailler à la racine des choses pour Jean-Michel. Il constate que 43% des agresseurs dénoncés sont des artistes et refuse de fermer les yeux. Pas de place pour les regrets quand il s’agit d’agressions sexuelles, voire de viol. Tant pis si ça brise des carrières. Al Malik confirme l’importance d’un tel protocole aux vues des réactions entendues, sidéré par « ces hommes qui ne voient pas le problème ». La question est : ces 3 heures suffiront-elles à enrayer des siècles de conditionnement?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 60% des agressions sont dues à des rapports de subordination tant au sein de l’organisation de travail que dans les relations de fascination (et donc de subordination) que l’artiste exerce sur ses fans par exemple (ou le réalisateur ou le metteur en scène, ou même le chef op…).
96% des agressions sont commises par des hommes sur des femmes. Ce chiffre est à entendre tout en admettant le manque de témoignages d’hommes décrivant des agressions sexuelles par des femmes, par d’autres hommes, ou entre femmes. Il reste difficile d’évoquer ces questions dans les milieux déjà minoritaires et déjà sous le joug de discriminations.
Les propositions du ministère, même si elles s’avèrent nécessaires, ne paraissent malgré tout pas suffisantes. Le protocole de prévention aux VSS est « clair, bien construit et nécessaire », selon Jean-Michel, mais reste limité par sa dimension « déclarative ».
Même perception pour Abd Al Malik. Pour lui, cette formation est « sérieuse » et le contrôle des connaissances effectué l’est tout autant. Il espère que cela fera l’objet de contrôle et d’évaluation in situ et souhaite un protocole « aussi dense et sérieux que celui qui a été mis en place pour la crise sanitaire, même type de règlementation et de contrôle». Pour le moment, se déclarer non sexiste semble suffire.
Un autre aspect chiffonne Jean-Michel dans le protocole : « le mot viol n’apparaît pas dans la liste des violences décrites p.7 ». Le viol, une agression comme une autre ? Précisément, c’est là que le bât blesse. La culture du viol n’y est pas assez dénoncée. Les privilèges restent tus, donc en place.
Abd Al Malik raconte que pour « chaque exemple présenté, il y en avait toujours un pour contester ». Sur la toile, Marie Coquille Chambel subit actuellement un véritable cyberharcèlement pour avoir dénoncer son violeur. A croire que c’est une fois encore la victime la coupable. L’inversion de la charge de la culpabilité guette toujours car c’est la base de la culture du viol.
Sortir des régimes d’exception, surtout dans la Culture
Le viol est une atteinte durable à l’intégrité d’autrui, une prise forcée de sa dignité. Tous les comportements ou propos qui viennent le justifier ou l’excuser y participent. Dans le domaine culturel, ils sont pléthores. À croire que c’est une grande famille sans foi, ni loi (donc sans droit) . S’y entendent souvent que : « le corps d’une comédienne appartient au metteur en scène », « le réalisateur doit éprouver du désir pour ses actrices » ou encore que « l’artiste est un produit qui doit faire bander l’acheteur potentiel »…
Tous ces rapports sont en réalité des rapports de subordination où l’acteur.ice, comédien.ne ou musicien.ne est une proie tant de son entourage commercial qu’artistique. C’est donc autour de ces rapports d’emprise, d’admiration/manipulation que doivent se concentrer les efforts.
Du rap à la musique classique, du théâtre de boulevard à la Comédie Française et du court métrage au film tout publics, en passant par le livre, les écoles d’art et les musées, tous les milieux culturels sont concernés. Les mots ont un sens et l’égalité ne vaut qu’à condition qu’elle nous implique tous.tes sans exception.

Alors, encore un effort pour qu’un véritable dispositif de formation permette une refonte du système culturel et de ses dérives virilistes ! En attendant, signons la tribune lancée par le collectif metootheatre (mouvementmetootheatre@gmail.com)! Histoire de se faire ENFIN entendre et que cesse, une bonne fois pour toutes, le culte de l’impunité sans faire d’exception culturelle pour une fois.