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Rocé : Poings serrés, micro ouvert

Rocé : Poings serrés, micro ouvert

ROCE-©-Ousmane-Diaby-2021

Après avoir gratifié le Rap francophone de 4 albums remarquables, José Youcef Lamine Kaminsky aka Rocé arrive cette année avec un nouvel EP annonçant le 5e opus. Rocé travaille également sur des projets satellites à la discipline reine. Notamment la compilation Par les Damné·e·s de la Terre ou encore le documentaire Saveur Bitume.

Beaucoup catégorisent l’artiste comme l’intello de la classe. En réalité, Rocé est un rappeur de discipline, il pratique son art comme un sport et prend le micro comme une arme (avec assurance et précautions).

Alif : Commençons donc à l’essence. Cette punchline de Top Départ (2001), que veut-elle dire ?

J’m’efforce d’apprendre, entrer dans leur monde.

Parler un langage soutenu qui soutiendrait ma bande.

On s’Habitue, Top Départ, 2001

Rocé : C’est l’intégration. S’intégrer à un monde, tout en ayant une double-conscience. Conscience de ce qu’on est nous, d’où on vient et comment les gens nous voient. Conscience de ce que sont les autres. Parce qu’au final, c’est nous qui nous adaptons, les autres ne s’adaptent jamais. Il n’ont pas ce besoin d’intégrer une double-conscience.

Et donc « leur monde ». C’est le monde de qui ?

Le monde occidental. Le monde qui construit sur la main d’œuvre des gens qui viennent d’ailleurs. C’est le monde d’accueil. Et c’est le monde dont on doit apprendre l’histoire. L’Histoire qu’on apprend à l’école, c’est celle-là. C’est le monde des vainqueurs.

Est-ce qu’il n’y a pas un double dans le double ? Parce que finalement toi tu es occidental aussi.

Bah oui clairement. C’est plein de filaments. C’est pas quelque chose de binaire. Tu vois. L’identité, moi je considère qu’elle est en mouvement. Il te suffit de déménager et déjà ça te donne une identité différente.

On s’Habitue, 2001, avec DJ Mehdi

Logiquement et chronologiquement, on passe sur Identité en Crescendo (2006) :

Ma carte d’identité est suspecte

D’étudiant noir de rappeur blanc.

Le Métèque, Identité en Crescendo, 2006

Rocé : C’est le métissage. T’es jamais vraiment ni l’un ni l’autre. Et là dessus aussi y’a rien de binaire. Tout se joue sur la nuance.

Cette phrase c’est : entouré de blancs je me sens métis et entouré de re-noi j’vais me sentir blanc. C’est un peu comme les immigrés de n’importe quelle diaspora, quand ils passent au pays on dit : “c’est des blancs“ C’est même pas une histoire de couleur de peau en réalité.

Le métèque, 2006

Dans ta discographie chaque album propose une identité musicale différente. Comment tu arrives à ça ?

C’est vraiment au feeling, t’as vu, y’a un côté artisanal qui se ressent. J’me pose pas trop la question. J’ai pas une équipe qui va bosser en même temps avec tout le Game. Vu que je fais ça seul, forcément ça va être hyper singulier.

Comment tu traites avec les sonorités pour être satisfait tout en ayant quelque chose de nouveau ?

Disons que moi j’écoute beaucoup c’qui se fait aujourd’hui. Les sonorités ne sont pas les même que dans les années 90. Du coup je vais m’en inspirer.

C’est intéressant d’être influencé. Le rap m’a influencé à faire du rap. Si t’écoutes la caisse claire de Mobb Deep, derrière t’as 50 groupes qui vont utiliser la même caisse claire. Pareil pour DJ Premier, y’en a d’autres qui vont aller plus vers Dr Dre. Ça a toujours fonctionné comme ça dans l’art. Y’a des courants et donc moi j’échappe pas à la règle.

Le truc c’est que souvent ce qui se passe c’est que les artistes restent passionnés sur un courant qui a été un coup de cœur à une époque.

Moi c’que j’aime c’est la performance, tant que j’la retrouve, si y’a une cohérence dans la forme j’vais kiffer. Dans ma manière de faire mes prods aujourd’hui, y’a des trucs qui vont sonner actuel, des trucs qui vont sonner à l’ancienne. J’mets pas de murs là dedans.

C’est peut-être ça le secret ?!

Aujourd’hui ça s’est tellement mondialisé. J’peux pas te dire que j’m’y connais en rap japonais ou en rap indien. Mais tu vois passer des trucs. Ça se ressent dans les rappeurs d’aujourd’hui. T’as tous les styles.

Roce-©-ousmane-diaby-2021
photo © Ousmane Diaby

Malgré le foisonnement et la diversité qu’on retrouve effectivement aujourd’hui, tu ne penses pas que le diapason reste le même à savoir les États-Unis ?

Y’a des régions qui se sont accaparées le délire et d’autres qui sont encore dans le mimétisme. J’pense à l’Allemagne ou au Japon. Ça va être des pays qui vont faire du rap comme les américains. Ils vont le faire super bien mais en réalité ils sont dans le statut de fan.

À la différence de ça… Un MHD par exemple… Y’a une personnalisation du délire. Pareil avec la Fonky Familly. DJ Pone allait prendre des samples de la ky-fun mainstream car ça représente l’histoire des anciens de Marseille. Les p’tits frères ont samplé c’que les grands frères écoutaient. Alors d’accord c’est d’la musique américaine mais c’est ce qu’ils écoutaient. Donc c’est très personnel. On est plus dans un truc de “fan de“. On est dans un truc de : “on en fait c’qu’on a envie d’en faire“. Le fait de garder l’argot. De se dire : “vas-y, rien à faire, on a notre délire de parler, c’est marseillais, c’est d’abord du rap marseillais“. Bah c’est vrai ! C’est une manière de s’approprier le truc avec sa propre histoire, avec son propre vécu.

Pour terminer, j’ai envie de parler de Par les Damné·e·s de la Terre.

Ce que je trouve intéressant c’est cette recherche d’un proto-rap francophone.

Ça aurait pu s’appeler Proto-Rap. Beaucoup de gens ne savaient pas qu’il y’a eu des morceaux clamés en français. Quand j’dis beaucoup de gens, c’est même des vieux tu vois. Comme plein de gens aux États-Unis ne connaissent pas les Last Poets. L’idée c’était de faire découvrir ça avec tout ce que ça raconte sociologiquement. Toujours avec cette histoire de dominés/dominants.

C’était pas dans l’Histoire, donc fallait le mettre.

Concluons avec l’actu. Ça dit quoi ?

L’album qui va arriver. À côté j’suis sur des projets qui prennent un peu plus leur temps. J’ai fait une exposition de pochettes engagées, je continue un peu à amasser du disque… j’considère que le vrai évènement de cette expo n’a pas encore vu le jour donc je veux vraiment faire un truc de ouf. J’écris. Donc on verra, peut-être qu’un jour je ferrais une fiction, un roman, une série…

Là, la priorité c’est l’album. Le rap. Le rap, ça restera toujours le centre.

Et donc Poings Serrés, le EP ? C’est une carte de visite de l’album ?

Ouais, les morceaux qui sont dedans seront dans l’album. C’est une carte de visite, c’est pour montrer la nouvelle énergie avec des morceaux différents. Aucun des morceaux ne se ressemblent.

Alors on attend patiemment ce nouvel album. Les aficionados savent que la bonne musique vient à point à qui sait attendre Rocé. Un artiste complet qui propose une musique contemporaine et singulière à chaque nouveau disque. Du pur rap français dans toute son hybridité.

Poings Serrés, 2021, clip © Adam Phenix et Mike Horn

photo de couverture © Ousmane Diaby

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