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Pédocriminalité: une condamnation par le rap game ?

Pédocriminalité: une condamnation par le rap game ?

Depuis ses origines, la pédocriminalité fait l’objet d’une condamnation sans appel par le rap game. Perçue comme crime ultime, aucune compassion possible pour l’agresseur. Pourtant, le rap game n’est pas exempt de ses propres turpitudes en la matière.

La pédocriminalité n’est pas nouvelle, mais s’est invitée sur le devant de la scène politique dans le sillon des affaires Duhamel ou Matzneff. La question des agressions sexuelles sur mineurs n’est enfin plus seulement considérée comme une affaire de moeurs, mais comme une affaire de société, nécessitant des lois fortes et courageuses. Dès ses débuts, le rap game voue à la pédocriminalité une condamnation ferme et ne cesse de dénoncer cet état de fait longtemps passé sous silence. 

Un sujet présent dans le rap dès ses origines

Dans les années 90 et 2000 ce sujet ne faisait pas la Une des journaux et les affaires étaient très souvent classées sans suite (faute de preuve ou délai de prescription dépassé). Seul le rap game s’attaque alors au problème. 

Le groupe 100 pour sang évoquait d’ailleurs ce sujet en 1996 sur a compilation Axe Central. Comme quoi, rien de nouveau sous le soleil.

Ce faisant, les rappeurs incarnaient l’adage de Gael Faye selon lequel “le système est un arbre et le rap est sécateur”. Si le système produit de la pédocriminalité ou s’il le couvre, alors la branche est pourrie et il faut l’amputer. 

C’est notamment ce qu’évoque Kalash Criminel dans Gang invité par Lefa. A ses yeux, “les politiciens votent des lois pour avantager les pédophiles” alors même que leur fonction est de protéger l’ensemble des mineurs (statut juridique d’enfant jusqu’à 18 ans).

En 2020, il renforce donc l’idée selon laquelle si pédocriminalité il y a, c’est bien qu’elle ne dérange pas le pouvoir public. Or, comme il le disait déjà en 2016 dans sa première sauvagerie “la vérité sort de la bouche des enfants, demande aux pédophiles”. Sauvage vous avez dit sauvage? Mais qui fait preuve de sauvagerie? 

Un problème de domination

Nous y voilà, pendant longtemps en France, la pédocriminalité a été couverte, rendue quelque part acceptable, par tout un ensemble de règles et de principes. Le chef de famille ayant autorité sur femme et enfant, leur corps lui appartenaient.

Autrement dit le patriarcat favorise la pédocriminalité puisqu’il induit un rapport de hiérarchie et de domination sur les corps les plus fragiles (ou supposés comme tels). Cette domination des corps se retrouve aussi dans la gynécologie et étrangement… 

C’est pourquoi la question de la pédocriminalité a longtemps été rapprochée de la domination patriarcale et que l’image que nous en avons est systématiquement masculine. Le pédocriminel est Un monstre, Un prédateur qui attendrait sa proie vulnérable au coin de la rue, le regard sale. 

Des crimes au sein du foyer très loin des clichés

Pourtant, c’est souvent dans l’espace du foyer que le gros des agressions sexuelles sur mineurs se font. Au sein de ce foyer où se côtoient des hommes et des femmes… Le pédocriminel n’est pas toujours sexué et genré en tant qu’homme. La pédocriminalité féminine existe, la maternité n’est pas non plus exempte de risque. 

Damso sera donc le premier en 2018 à aborder le sujet dans sa complexité. Tout du moins à s’y essayer. A travers le titre Julien, il tente d’explorer ce qui s’y joue et décrit les fantasmes et malaises d’un.e pédocriminel.l.e avec une étonnante justesse.

A ses yeux, ce “Julien c’est ton voisin, Julien c’est ton mari”. Le fait que le pédophile soit incarné par une voix de femme, alors que le personnage porte un prénom masculin permet de saisir l’ambivalence du phénomène. 

Au-delà de cette réversibilité sexuelle, c’est aussi la manière dont la pédocriminalité se niche dans tous les espaces privés, là où ne s’invite que trop rarement le regard judiciaire et politique, qui se dévoile. Les rappeurs dénoncent ainsi l’invisible comme Nakk Mendosa en 2016 dans Elodie

Dans le même esprit, il y a plus de dix ans, l’artiste Yanis Odua dénonçait dans Une Larme, la mise en service sexuel par certains parents de leurs enfants. Ce faisant, il cassait le cou au mythe selon lequel l’amour filial favoriserait la prise de conscience ou encore l’idée que les parents et les enfants vivent toujours en harmonie. Le gros des affaires de pédocriminalité sont couvertes et aux vues et sues des parents. 

Un problème présent dans tous les milieux

La haine du rappeur vis à vis du pédocriminel n’est donc pas du tout nouvelle, mais mérite elle aussi d’être interrogée. Bien sûr, comme le rappait déjà Freeze Corleone en 2016, beaucoup sont ceux qui ont fait “un rêve où (il) exécutait des pédophiles”, mais pourquoi cette obsession? A croire que la lutte contre la pédocriminalité amène nécessairement à réinvestir a peine de mort… en tout cas c’est ce que Freeze laisse entendre dans la Menace Fantôme en 2020. 

Par la suite, dans son titre PDM, il cible directement des agresseurs connus et reconnus comme notamment. R. Kelly qu’il qualifie de “pédo-satanistes”. 

Pourtant, nul besoin de prêter allégeance au diable pour être pédocriminel.  Nul besoin d’être dans les arcanes du pouvoir non plus. La pédocriminalité n’est pas un privilège de puissants. Il y a des pédocriminels de tous bords et ce jusque dans le rap game … 

En somme, les rappeurs n’ont pas attendu les affaires médiatiques pour évoquer la pédocriminalité, mais seul Damso a proposé une lecture psychopathologique. Le pédocriminel c’est aussi ton collègue, ton ami, ton associé, ton idole.

Comment sortir du cercle de reproduction de la violence sans la reproduire par la peine de mort ? Telle est la question de fond. Toujours est-il que la reconnaissance de la pédocriminalité comme crime contre l’humanité reste pleine et entière. 

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