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Faire bloc : toute une histoire

Faire bloc : toute une histoire

Est-il possible de parler du Black Bloc sans verser dans le manifeste auto-promotionnel complaisant ni en instruisant à charge indistinctement contre les « casseurs » ? C’est le projet hardi du livre de Camille Svilarich, soutenue par la toute jeune maison d’édition Excès. Et quoi de plus avisé, dans ces matières politiques plus que touchy, que d’instaurer dés l’introduction, une perspective historique pour mieux désamorcer toute vision réductrice au dernier MacDo saccagé quelque part, ou aux cagoules Dior à 1000 euros.

Non, « Black Bloc, Histoire d’une Tactique » nous prend de court en tirant le fil historique, géopolitique et esthétique, de ce qu’on ne saurait véritablement appeler un mouvement, ni même une tendance, mais une tactique, une forme de lutte donc, qui aurait ses origines, ses développements et son avenir. Le livre nous laisse d’ailleurs sagement aux portes du XXIème siècle, après l’apothéose de Seattle 1999, avant le tournant mondial du 11 septembre 2001.

«Nous ne sommes pas un bloc, nous faisons bloc » … « D’un point de vue logique, une personne ne peut faire bloc seule… Le Black Bloc est une tactique, les black blocs sont des formations historiques contingentes et les personnes qui y participent sont les protagonistes de ces formes d’action »

Car si un guichet bancaire est vite mis hors d’état de nuire, l’histoire du Black Bloc est longue, complexe, intimement liée aux soubresauts de l’histoire récente, de la Guerre Froide à la dite « Révolution » néo-libérale des années 80-90. Camille Svilarich nous le rappelle dés son introduction : s’il semble impossible de détacher le Bloc d’une certaine utilisation de la violence, celle-ci n’est jamais revendiquée qu’en tant qu’elle est une réponse collective du groupe à la violence globale d’un système fondé sur la destruction. L’historienne, qui fait la part belle aux sources et aux documents, cite ainsi le très beau texte (anonyme, cela va sans dire) de 2016, « La violence sans l’aimer », diffusé au lendemain des luttes contre la Loi Travail :

« De même qu’aucun de nous ne se réduit à ce qu’elle ou il est et fait dans le Bloc, nous ne réduirons pas nos rêves et notre monde à la violence »

Au commencement était 1968, et la radicalisation progressive de groupuscules d’extrême gauche vers l’action directe. Car l’immense majorité des gens dont nous parlons, contrairement à la doxa répandue dans la gauche réformiste, n’a jamais cédé à la tentation terroriste, mais iels ont continué d’élaborer de nouvelles formes d’action collectives concertées. Des Spontis allemands à l’Autonomie Ouvrière italienne, c’est toute une autre histoire des luttes qui se dessine, souvent masquée par les attentats des Brigades Rouges ou de la R.A.F. Et si la gauche non-parlementaire des Autonomes se mobilisera régulièrement pour contester les états d’urgence instaurés en réponse aux actions terroristes, ou pour dénoncer les conditions de détention terrifiantes des prisonniers, n’en reste pas moins qu’elle invente parallèlement de nouveaux modes d’action de rue, de mobilisation, d’occupation, qui survivront aux années de plomb, établissant durablement « de nouveaux rapports de force avec les autorités politiques ».

Car, une fois encore, c’est de tactique qu’il s’agit, et les rapports avec la gauche allemande officielle seront dés le départ difficiles, d’autant que viendront vite se greffer à la mouvance Autonome, les groupes antifascistes comme l’Antifa de Göttingen, puis les vagues pacifistes, anti-impérialistes, anti-nucléaires, adoptant à leur tour les stratégies « Sponti » (du mot spontané) que Camille Svilarich résume comme une  lutte sociale, issue de l’expérience des squats, qui se voulait inclusive, ouverte, d’un « ici et maintenant » qui ne requérait aucune préparation matérielle, ni armes, ni argent… Se voulant fluide, en réseau informel, sans permanence établie de ses protagonistes dans des rôles…

C’est avec la chute du mur de Berlin, le développement d’internet, et la montée en puissance de la galaxie Reagan-Thatcher, que tout cet héritage tactique du Block va transmuter vers le monde anglo-saxon, et un champs d’action mondial. Du Schwarzer Block hambourgeois des années 80 au Black Bloc de Seattle en 1999, une nouvelle page de l’Histoire d’une Tactique s’écrit, aux marges d’une gauche américaine abasourdie, isolée et vieillissante. Cela y explique sans doute, le succés d’une pensée libertaire renouvelée, et l’appétit d’une jeunesse nord-américaine pour l’action effective, via la contre-culture.

L’adoption d’une stratégie plus offensive de la part des Autonomes dans le contexte des grandes mobilisations antimondialistes est à comprendre comme la volonté de poursuivre un rapport de force directe, de la nuisance pratique à l’affront symbolique, face à des pouvoirs économiques et politiques devenus insaisissables

« Fédérer le désordre pour lutter contre le nouvel ordre ». Le noir devient couleur officielle, laissant le rouge au placard stalinien, et dorénavant les stratégies urbaines du Bloc circulent aisément d’un bout à l’autre de la planète. De nouvelles problématiques, de rapports Nord/Sud, de race, de genre, se mettent à questionner le bloc au risque d’un fractionnement délétère (disparition de la revue Love and Rage en 1996). Dés 1993 déjà, les politiques anti-terroristes post-Koweit, tendent à confondre tout dans leur affolement répressif, mais la tactique du Bloc va connaître un développement aussi viral que risqué quant à sa viabilité politique. La tactique du Bloc ne saurait effectivement rester une « chose blanche ». Bref tout bouge, de Lyon à Sao Paulo, et le Bloc connaitra son plus grand éclat lors des événement de Seattle en 1999, inaugurant la tactique des global days of action, des independant media centers, qui causera à Seattle deux millions de dollars de dégats, l’instauration d’un couvre-feu, sans graves effusions de sang. Le programme est vaste, ouvert, presque festif :

« Grèves-occupation de bureaux-blocus et fermetures-…. Critiques en masse-sabotage, démolitions des infra-structures capitalistes- promenades à vélos-Musique-Danse… Offrir des prêts sans intérêts à l’extérieur des grandes banques ». Seule semble proscrite la violence à l’égard des personnes… »

. Camille Svilavich préfère en rester là, et clôt son essai en revenant aux fondamentaux, sous le signe d’Hanna Arendt. La philosophe aurait-elle reconnu dans notre hyper-capitalisme connecté, cette bureaucratie qu’elle dénonçait déjà dans « Du Mensonge à la Violence » :

« Dans un régime totalement bureaucratisé, on ne trouve plus personne avec qui il soit possible de discuter, à qui on puisse soumettre des revendications… Chacun est entièrement privé de la liberté politique et du pouvoir d’agir… » H.A.

Au sortir de cet essai salutaire, à la délicate écriture inclusive, les mots d’Arendt sifflent comme des flèches. Et si l’on joint à cela, le fait que cette nouvelle collection Sciences Humaines d’Excès nous fabrique de biens beaux objets éditoriaux peu onéreux (on notera l’intervention des FleuryFontaine à l’illustration), on trouvera un peu d’apaisement tactique, en attendant que les années récentes deviennent à leur tour matériau d’histoire :

« L’action ne se révèle pleinement qu’au conteur, à l’historien qui regarde en arrière et, sans aucun doute, connaît le fond du problème bien mieux que les participants » H.A.

BLACK BLOC, HISTOIRE D’UNE TACTIQUE de Camille Sviravich (illustrations FleuryFontaine)

Editions EXCES, collection Sciences Humaines

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