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Les Ombres et la lumière d’Antoinette Gomis

Les Ombres et la lumière d’Antoinette Gomis

Antoinette Gomis, danseuse hip hop Internationale et polyvalente. Elle propose avec Les Ombres, un spectacle à la fois intime et universel mettant en lumière les paroles, souvent tues, des parents immigrés à propos de leurs voyages et de leurs vies passées.

Les Ombres, c’est la seconde collaboration en spectacle vivant avec Cyril Machenaud (metteur en scène et co-auteur de l’œuvre) après Images. Dans ce dernier, Antoinette apparaît en solo et interprète sur scène des textes de Nina Simone en construisant un langage chorégraphique à partir de la langue des signes.

Issu également du mouvement Hip Hop et du cinéma indépendant, Cyril Machenaud  a créé avec Antoinette une compagnie de danse contemporaine dans l’esprit Hip Hop. De MaMSoN à Damani, la Compagnie Antoinette Gomis est un pont génerationnel et créatif. Le premier est une légende du mouvement, membre du Wanted Posse. Le second, 19 ans, est une étoile montante du breakdance (en sélection française et en bonne voie pour les JO 2024).

Ombres en lumière

Les Ombres, ce sont ces hommes et ces femmes qui, avec les voyages et la traversée des frontières, se sont vu·e·s privé·e·s de leur identité. Le fameux « j’étais médecin dans mon pays » est une réalité. Antoinette et Cyril décident de mettre la lumière sur ces voyageur·euse·s oublié·e·s et sur ces vies d’avant enterrées. Les Ombres, ce sont aussi les forces de l’invisible qui accompagnent Antoinette et des milliers d’afro-descendants dans les épreuves de leur vie.

Le chemin inverse

Après le décès du papa, les Gomis partent pour la Guinée-Bissau afin de ramener la dépouille sur ses terres natales. Antoinette se rend compte qu’elle est en train effectuer le chemin inverse que son père a emprunté des décennies plus tôt. Le déclic est là. Un des grands frères connaît l’histoire, il est temps de percer le silence. Ce parcours sera pris comme base pour développer le spectacle, mais sera enrichi par celui des parents de chaque danseur. C’est l’occasion de questionner, d’interroger, de se plonger dans une histoire qui nous appartient mais qu’on connait souvent trop peu. À partir de cette histoire-là, le spectacle a pour vocation de parler de la migration et de l’exil en général sans pour autant prétendre à l’universalité.

© Cléa Mbaki

Technique et créativité

Une telle représentation nécessite un travail chorégraphique complexe. Antoinette et les danseurs qui l’accompagnent sur scène et en studio réalisent un subtil mélange de disciplines hip hop (waack, house, break, …) et de danses traditionnelles d’Afrique de l’ouest. Ce travail propose des tableaux sans fioritures, énergiques et subtils, à la hauteur de l’émotion transmise.

Issu du documentaire et du clip, le metteur en scène et co-auteur, Cyril Machenaud, propose une véritable mise en images des différentes étapes du parcours migratoire retranscrit par la danse.

Les Ombres est, de fait un spectacle où la lumière joue un rôle primordial. Issu du théâtre, le milanais Lorenzo Marcolini réalise pour l’occasion sa première création pour la danse. À la manière d’un artisan, il affine le travail au fil des représentations. Il compose l’espace, cache, montre, suggère, pour mettre en exergue l’explosivité du break ou la fluidité de la house. À quatre mains, Cyril et Lorenzo accompagnent la danse pour faire émerger de presque rien (très peu de décor ou d’accessoires) des sensations de voyage, des scènes de vies quotidiennes, des sentiments de confinement ou de liberté.

À travers ce spectacle, les enfants d’immigré·e·s racontent l’histoire de leurs parents avec leur langage et leur culture (Hip Hop) mais se replongent également dans celle des ancêtres en valorisant leurs idiomes, parlés (comme le manjaque) ou dansés (comme la pachanga).

Teaser Les Ombres © Cyril Machenaud

Funky Ladies

La danseuse ne se contente pas de ses spectacles et différents projets sur lesquels elle est plébiscitée. « Je ne danse plus pour moi » dit-elle. Le devoir de transmission est une évidence pour Antoinette et Martine (sa sœur) avec qui elle a créé, à peine majeure, les Funky Ladies. Au départ un crew de danse, c’est aujourd’hui une école ; ouverte aux Mureaux où elles ont grandi.

Les deux sœurs proposent entre autre le cours très prisé Hip Hop Girly. Entièrement en talons, ce cours est plus qu’une séance de danse, mais une rencontre féminine où l’on travaille la confiance en soi en apprenant à marcher (et bien sûr à danser) en talons. Lors des séances, très physiques, la taille des talons augmentent avec la progression des danseuses.

Jeunes et ambitieux

Le cursus principal est lui dédié aux jeunes et est synchronisé avec l’école. Si les notes sont mauvaises, l’ados vient quand même à la danse, mais pour y faire ses devoirs en regardant ses camarades s’amuser et progresser. À l’image des centres de formation que l’on connait dans le football par exemple, ce cours forme des jeunes à devenir adulte en travaillant leur passion sans se fermer les portes des études. Résultats : 100% de réussite au bac avec mention.

Pour aller plus loin dans la démarche de professionnalisation, l’école forme également à l’enseignement. Les anciens élèves deviennent les nouveaux profs. De plus, Funky Ladies fait office de vivier de danseuses et danseurs pour Antoinette et ses projets professionnels. Plutôt que de faire de « faux casting“ (monnaie courante dans le milieu), elle assume et pioche parmi les élèves où de nombreux talents émergent.

Premier Carnaval Hip Hop

Au-delà de l’école de danse, les deux sœurs se lancent dans l’évènementiel pour rendre à leur ville (Les Mureaux) le carnaval qu’elles ont connu dans leur enfance et qui a disparu du jour au lendemain. Mais l’idée n’émerge pas seulement de cette volonté. C’est une expérience vécu par Antoinette à New York lors du Labor Day, carnaval caribéen où des milliers de personnes dansent et s’extasient sur fond de soca. L’émotion saisie littéralement la danseuse. Cela va donner l’impulsion finale pour créer un évènement aux Mureaux. Les Funky Ladies donnent ainsi naissance au premier carnaval hip hop de France (et peut-être du monde…), le LMX Karnival.

Les Ombres de Kouka

Demain, Mercredi 14 septembre à La Place, l’artiste peintre Kouka Ntadi, présentera une œuvre graphique et littéraire inspirée du spectacle Les Ombres. Travaillée en étroite collaboration avec Cyril Machenaud, l’œuvre est une véritable prolongation du spectacle, bien au delà d’une simple illustration de celui-ci. Une collaboration qui brise une fois de plus les frontières entre les arts et une belle manière de découvrir l’univers des Ombres.

photo de couverture par Cléa Mbaki

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