Ida Lupino, pionnière du cinéma indépendant, fut la seule réalisatrice américaine des années 1950.
The background
Issue d’une longue lignée d’acteurs (13 générations), tout droit sortie de la Royal Academy de Londres, Ida Lupino obtient un contrat avec la Paramount. Le grand studio veut faire d’elle la nouvelle Jean Harlow.

Toute jeune actrice anglaise, elle débarque donc à Hollywood en 1933.
C’est au sein de la Warner que sa carrière décolle vraiment. Le film qui la placera sur orbite en 1940 s’intitule They Drive by Night et est signé par le grand Raoul Walsh. La presse est dithyrambique et note que la comédienne éclipse ses deux partenaires, George Raft et Humphrey Bogart. L’avenir s’annonce prometteur. Sur l’affiche de son film suivant, High Sierra, du même Raoul Walsh, son nom domine celui de Bogart. Quelle reconnaissance !
La désillusion
Mais Ida Lupino se voit assignée aux rôles de femme fatale à la voix rauque et de muse. Elle fait certes partie des actrices de l’âge d’or hollywoodien. Mais être actrice à Hollywood consiste essentiellement à apprendre à se taire et à se fondre dans des rôles que d’autres – des hommes – ont imaginés pour vous. En coulisses, elle ne cesse de poser des questions aux techniciens et laisse libre court à son franc-parler.
Ce qui déplait au grand patron de la Warner, Jack Warner. L’attitude d’Ida Lupino l’agace. Car elle dit souvent non. Non au projet de tourner de nouveau avec Bogart sous prétexte qu’il s’est montré impoli avec elle. Non à des rôles qu’elle juge sans intérêt… Une attitude qui lui vaut de nombreuses suspensions de contrat. Peu importe, en secret, Ida Lupino rêve de passer de l’autre côté de la caméra. Une hérésie pour l’époque!
En 1947, son contrat avec la Warner n’est pas renouvelé. C’est donc le moment de prendre son envol!
L’envol
Ida Lupino monte avec Collier Young, son deuxième mari, sa propre société de production : The Filmmakers. Ils rêvent d’un nouveau cinéma qui ne soit pas l’otage des grands studios. Un cinéma qui mette en avant des talents émergents, mais surtout dans lequel le cinéaste – et non plus le producteur – est au centre de tout.
Malgré cette indépendance toute neuve, il a fallu que le destin s’en mêle pour que Ida Lupino réalise enfin son premier film.
En 1949, le réalisateur Elmer Clifton du film Not wanted qu’elle a co-écrit et qu’elle produit, fait une crise cardiaque pendant le tournage. Il ne peut finir le film pour se soigner. Ida Lupino prend le relais.

Elle ne sera pas créditée au générique. Mais sa première réalisation porte déjà les germes de son style.
Le style d’Ida Lupino
Ida Lupino explore avec sensibilité la condition féminine et les préoccupations des classes moyennes américaines.
Avec Not wanted, elle ose aborder les difficultés rencontrées par les femmes, à une époque où cela ne se faisait presque pas. Ici, elle traite de grossesse non-désirée. L’histoire d’une fille-mère, malgré elle. Alors que le seul terme de fille-mère est proscrit par la censure !
En 1950, Ida Lupino rencontre le maître du néoréalisme italien Roberto Rossellini. Il lui fait une remarque :
« Dans les films de Hollywood, la star devient folle, ou boit trop, ou veut tuer sa femme. Quand allez-vous faire des films ordinaires sur les gens ordinaires ? »
Roberto Rosselini
Ida retient la leçon. Cinq de ses six films abordent des sujets de société laissés de côté par le cinéma traditionnel. La maladie (la polio dont elle-même a souffert) dans Never Fear, l’infidélité et la lâcheté d’un mari dans The Bigamist. Mais surtout le viol et ses séquelles dans Outrage.
Ida Lupino, en grande virtuose de la caméra, y joue avec les ombres, la lumière et… la censure pour réaliser une scène oppressante de six minutes dans laquelle le viol est seulement suggéré.
Autant de longs-métrages bouleversants qui parlent (enfin) des femmes, d’une femme qui parle aux femmes.
La pionnière du genre
Puis en 1953, Ida Lupino se réapproprie également le film noir, genre éminemment masculin. The Hitch-Hiker fait d’elle, la première femme réalisatrice de film noir.
The Hitch-Hiker est son œuvre la plus connue, avec un casting uniquement composé d’hommes. L’histoire est tirée d’un fait divers sanglant et raconte comment deux pères de famille se retrouvent otages d’un tueur en série, dans un road-trip.
Elle serait même allée à la rencontre du vrai tueur à quelques semaines de son exécution.
Certes, ces films n’affichent pas le luxe des grands studios. Ils dépendent de petits budgets et ne rapportent pas grand-chose. Mais son cinéma social féminin et féministe (même si elle ne s’est jamais définie comme telle) est très en avance dans sa manière de jouer avec les stéréotypes de genre et ses personnages féminins mis en avant.
Ida Lupino est aussi célébrée, notamment par Martin Scorsese, aujourd’hui pour son influence que pour avoir réussi à s’imposer à une époque où le milieu du cinéma était plus masculin et misogyne que jamais.