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Les néo-fascistes sont des néo-libéraux: la preuve par Batman

Les néo-fascistes sont des néo-libéraux: la preuve par Batman

À l’occasion de la sortie d’un nouveau Batman, HIYA! propose une réflexion sur la plus idéologique (ultra-réactionnaire) de ses versions, celle du réalisateur Christopher Nolan qui a fait le succès de la franchise de DC Comic durant les années 2000. Ce Batman montre une grande convergence entre néo-fascistes et néo-libéraux à travers un passé mythifié (et trompeur).

Dans un article de décembre, le journaliste économique de Médiapart, Romaric Godin, expliquait que le programme économique de Zemmour s’inscrit parfaitement dans le néolibéralisme. En cela il ne diffère que très peu de Fillon ou Macron. Godin y démontrait ainsi la jonction entre deux courants de pensée a priori antinomique: le libéralisme et le fascisme. (L’un prônant le retrait de l’État, l’autre une large présence de celui-ci). Godin explique ce curieux mariage entre courants de droite opposés par des convergences bien plus fortes qu’il n’y parait. En particulier entre le « père-fondateur » du néolibéralisme, Friedrich von Hayek et des courants fascistes.

Surtout, le néolibéralisme est si bien implanté aujourd’hui que les autres droites (dont une partie de la « gauche ») ne conçoivent pas réellement d’autres horizons. Elles l’ont naturalisé au point que la loi du marché apparait comme l’état naturel du monde.

Batman, un manuel politique des droites (extrêmes et modérées) réunies

Pour illustrer cette idée, je propose d’analyser quelques scènes du Batman de Christopher Nolan. Celui-ci est grandement Inspiré du ultra-réactionnaire dessinateur Franck Miller (auteur de la mythique série « Dark Knight » des années 80). La trilogie de Nolan est un concentré de différentes idéologies droitières. De l’apologie de la torture à la privatisation de tous les services public en passant un vigilantisme de la société, ces films pourraient servir de manuel politique pour les droites et extrême-droites enfin réunies dans une destruction accélérée de notre planète.

Pour ma part, je souhaite me concentrer sur seul point: la relation avec le passé. Comme toute idéologie réactionnaire, le Batman de Nolan véhicule l’idée d’un passé mythique. Un temps où tout allait bien, avant que ne survienne une décadence menant aux temps obscurs (le présent). L’idée de décadence est centrale dans toute conception réactionnaire du monde. Or il y a une sorte de manipulation historique dans Batman.

Un passé qui serait déjà néolibéral

En effet, le passé mythifié chez Nolan est déjà néolibéral. Par exemple, le père de Bruce Wayne (Batman en civil) représente le bon milliardaire philanthrope octroyant de grandes donations à la Ville. Ainsi, les principaux transports publics (le métro) de Gotham City ont été construits grâce à sa fondation. Autrement dit, le film décrit le système de dépenses sociales telle que souhaitée par le néolibéralisme : sans l’intervention de l’État, les plus riches dédient une part de leurs fortunes au bien-commun. L’idée étant que les plus riches sont plus aptes (que les pouvoirs publics) pour décider ce qui est bon pour la société.

A partir de 1:20, le père Wayne philanthrope

Ironie (peut-être non voulue) du film, ce « don » de monsieur Wayne (père) à la ville de Gotham n’est pas tout à fait désintéressé. En effet, un administrateur de son entreprise, Lucius Fox (Morgan Freeman), explique au fils Wayne que grâce à ce métro (dont il a décidé du tracé), le père Wayne a placé le siège de la Compagnie au centre la ville. Le métro permet à l’entreprise d’occuper une place stratégique, de devenir le « centre extra-officiel de la ville ». Autrement dit, la Fondation Wayne a offert un métro à la ville au plus grand bénéficie de… l’Entreprise Wayne. (Toute ressemblance avec les largesses des grand philanthropes de notre temps, par exemple la Fondation de Bill Gates, est purement fortuite).

A partir de 1:08, Lucius Fox explique l’astuce qui permet à la Wayne Entreprise d’occuper le « centre extra-officielle de la ville »

L’escamotage des « trente glorieuses » keynésiennes

L’arnaque consiste à faire du passé « où tout allait bien » comme déjà néolibéral. Dans la réalité, ce « bon » passé correspond à l’âge d’or du travailleur-consommateur blanc états-unien qu’on appelle les « trente glorieuses ». Or, durant cet « âge d’or », le néolibéralisme était une pensée tout à fait marginale, considérée comme absurde par la plupart des économistes. Les Trente Glorieuses ont été les années du triomphe du keynésianisme (qui prône une forte régulation de l’économie par l’État). Ces années mythifiées, qui vont à peu près de la fin de la Seconde Guerre Mondiale jusqu’au premier choc pétrolier de 1973, ont été celles d’une très grande intervention des états dans l’économie. Ces états avaient les moyens, entre autre parce que les plus riches payaient leurs impôts. Et pas qu’un peu, jusqu’à 94% de leurs revenus aux USA (pays pas exactement bolchévique).

L’astuce consiste donc à effacer le principal pivot de cet âge d’or (d’une Amérique blanche sereine) : la forte intervention de l’État. Celui-ci investissait alors massivement dans toutes les grandes infrastructures dont nous sommes encore tributaires, par exemple l’Internet. Cet escamotage du rôle de l’État fait ainsi croire que ce passé où le monde allait bien était le fruit des initiatives privées. En l’occurrence, du papa de Batman (la fondation Wayne). À qui la ville de Gotham (la société) était redevable pour son transport en commun.

Naturalisation du néolibéralisme et bataille culturelle

Il s’agit d’inscrire le néolibéralisme comme un état naturel. Faire croire que ses lois (ou sa loi fondamentale: celle du seul marché) ont toujours existé. Ainsi, le conservatisme réactionnaire, qui mythifie un passé glorieux où il faudrait revenir, s’articule avec le néolibéralisme.

Rappelons que, dans la réalité, le néolibéralisme ne s’est imposé qu’en 1973. D’abord au Chili, à travers la dictature du général Pinochet qui a servi de modèle pour Thatcher et Reagan. Auparavant, le mainstream économique avait parfaitement conscience que laisser le marché gouverner mène nécessairement à la catastrophe. La crise de 1929 et ses conséquences (montée des fascismes puis guerre mondiale) avaient été claires sur ce point. C’est cet enseignement -évident durant plus de trente ans- qui a été occulté par le néolibéralisme.

C’est cette occultation qu’un film grand-public comme le Batman de Nolan relaye afin de rendre inconcevable toute autre forme de gestion du bien-commun.

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