Ce 11 mars dernier, Lefa sortait son dernier volet de DMNR qui complète celui sorti en avril 2021. Alors que le premier volet traitait du monde qui l’entoure, ses incohérences et ses déceptions, le second est plus introspectif. Situé en amont du premier comme à rebours, il nous indique la voie de la sagesse : se questionner soi avant les autres. DMNR prend alors des allures de leçon de maturité où Lefa donne l’exemple pour tout le rap français.
Mars 2022, la situation sociale est un terrain miné. Une mise à jour semble donc nécessaire pour éviter l’AVC et tenir les fils rouges et bleus de notre new Life. En effet, même si chacun.e aurait pu se jeter corps et âmes dans la métaverse qui cherche à nous cerner, le tapis de course qu’est la vie nous rappelle combien nos existences sont en miroir.

Alors, même si vivre sans prise de tête est une aspiration légitime, est-ce seulement possible ? En amenant ces questions sans aucune promotion, ni communication, Lefa prouve encore une fois que le rap français est en capacité d’être son propre maître et de s’émanciper des sirènes de l’industrie. Prenant ainsi le game à rebours, DMNR est une véritable leçon de maturité que Lefa donne à tout le rap français qui ne jure plus que par les plans marketings et les opérations de communication.
Qu’est-ce que la maturité ?
Il est important de bien nommer les choses pour ne pas ajouter du malheur au monde nous dit Camus. Alors, définissons la maturité pour voir en quoi DMNR en est une master classe.
La maturité est présentée comme le développement plein d’une personne ou de tout être vivant. Quelqu’un est défini comme mature, quand il est adulte (a atteint un certain âge sans précision), fait preuve d’une certaine sagesse, responsabilité du fait de son âge, est réfléchi et posé. En somme, beaucoup de “certains”, très incertains.
Wikipédia indique même que : « Pour un organisme de la complexité de l’humain, il est plus facile de délimiter la maturité sur le plan physique que sur les plans émotif ou de l’intellect. »
La maturité est donc une appréciation. Ainsi, elle est subjective et dépendante de la personne qui l’évalue. C’est au regard de la manière dont la personne assure et assume les responsabilités qui lui incombent qu’iel est défini.e comme mature ou non.
De même que la sagesse dépend de l’appréciation normative que la société façonne (comme la folie d’ailleurs ou l’irresponsabilité), la maturité est une vertu fluctuante. Selon les époques et les systèmes de croyances, la maturité diffère. Dans les années 60, la maturité était être autonome économiquement quand aujourd’hui elle implique aussi la capacité à gérer ses frustrations par exemple.
Une personne mature en Europe est une personne qui use toujours de sa raison, de son entendement. Dans d’autres endroits du monde, la maturité est aussi la capacité à faire avec sa sensibilité, son intuition non rationnelle… Comme quoi..
Toujours est il que DMNR est un essai individuel de positionnement vis à vis du monde, de soi et des autres. Une exercice de maturité qui donne la méthode à suivre pour se questionner : se déminer.
La bascule du temps à 30 ans
Lefa, aka AdelKarim Fall, est né le 28 novembre 1985 à Paris. Il a donc aujourd’hui 36 ans. Cela fait donc plusieurs années qu’il a effectué la bascule des 30 ans qui permet de comprendre autrement les enjeux du temps qui passe.
Avant 30 ans, le temps passe, s’étale, se prend, se perd, mais ne file pas. La perception du temps diffère selon l’âge puisqu’elle est relative à notre existence. Ainsi, quand la personne a 10 ans, ces dix années représentent l’intégralité de son existence, c’est donc un absolu et non une notion relative. La relativité du temps est alors impossible à saisir. L’enfant vit toujours uniquement dans le présent.
Par ailleurs, cette personne n’a pas de souvenir datant d’il y a dix ans lui permettant de mettre en perpective son évolution. Pire, l’image qui est présentée de soi il y a dix ans est tellement éloignée de l’actuelle, que la mise en perspective est empêchée.
Quand la même personne atteint ses 20 ans, 10 années représentent encore la moitié de son existence. C’est donc encore une partie non négligeable, difficile à appréhender comme un segment du temps et non comme une totalité. C’est pourquoi, à 20 ans chacun.e se vit encore comme un absolu.
Cet absolu du temps est renforcé par la puissance de l’âge. A 20 ans, on cherche à figer le temps, à faire en sorte que nul.le ne change jamais. L’illusion de la permanence des liens, des affects, des opinions est extrême.
Ce n’est donc qu’à 30 ans que la dizaine prend pour la première fois une dimension de réalité. Elle devient segment et l’existence se comprend alors par étape. Le temps n’est plus absolu, mais commence à s’entendre dans sa relativité.
Le temps passe, file même. Les choses aimées diffèrent, se modifient et le monde évolue parfois sans nous… C’est souvent à cet âge là que la question de la vie que nous souhaitons mener se pose : avec ou sans enfants, en ville ou ailleurs, les choix professionnels, les valeurs qui s’expérimentent à l’aune du réel (et non plus seulement des convictions…). Le moment de relier les fils bleus et rouges pour une new life…
La responsabilité du rappeur
Mais Lefa est aussi un rappeur. Qui dit rappeur, dit aussi production de discours, prise de position dans le monde, sur le monde. Etre rappeur, quelque soit le propos c’est toujours faire une proposition artistique sur le monde qui nous entoure. Que celle-ci plaise ou non, soit réelle ou non, c’est une proposition. C’est ensuite l’auditeur qui décide de s’en saisir ou pas. Le rap produit un discours, fait leçon comme dirait Foucault.
Précisément, Lefa l’a bien compris et prend cette idée à bras le corps. Il en a fini de chercher à plaire, de chercher la fame, qu’il critique ici aussi. Désormais, ce qu’il souhaite mettre en avant c’est sa propre vision du monde, pas celle qui est attendue de lui. Alors parfois, ça grince, tout n’est pas parfait, mais c’est aussi ça le monde qui nous entoure. Une sorte de terrain miné sur lequel chacun.e cherche à ne pas sauter.
Pour ce faire, force est de se déconstruire, de chercher à avancer, à proposer une lecture du monde en biais, de faire un pas de côté finalement. N’est-ce pas précisément le fond de ce qu’est la maturité ? Savoir faire un pas de côté quand le terrain est trop miné, se mettre au vert quand les autres voient rouge, sans passer pour un jaune.
Avec DMNR, Lefa nous donne ici une leçon de maturité qui souffle un vent frais sur l’intégralité du rap français. Déminer pour mieux affronter, tel est l’enjeu.
« À chaque intervention, le démineur doit faire preuve de courage, d’intelligence et d’une habilité sans faille…. »
DMNR – Intro