Pseudo de Jérémy Rubenstein, historien, chroniqueur et écrivain (pas forcément…
Emmanuel Macron a annoncé cette semaine la création d’un « Conseil National de la Refondation ». Cette opération de communication pourrait être risible si elle ne discréditait pas par avance des outils démocratiques dont le pays a profondément besoin.
Faire campagne sans programme : gouverner comme un roi
Dès 2017, Emmanuel Macron avait acté l’ineptie des débats électoraux en considérant que les programmes n’ont guère d’importance durant la campagne.
C’est une erreur de penser que le programme est le cœur d’une campagne […] La politique, c’est comme la littérature, c’est un style.
Emmanuel Macron, JDD, 12 février 2017
Ce n’est pas forcément faux. Mais, s’il n’y a pas de débat autours des programmes, que reste t-il ? Des personnalités, des punchlines et des images. Beaucoup d’images. Autrement dit du médiatique et uniquement du médiatique. Qui gagne la partie médiatique gagne les élections sans politique. Puis gouverne sans programme, c’est-à-dire comme bon lui semble. En faisant cela, Macron a mené à bout la logique très personnaliste de la Vème République à laquelle il a couplé le format étatsunien de la campagne électoral (où le fond importe moins que l’image).
Rebelote en 2022. Macron a été réélu sans la moindre esquisse d’un programme. Un seul vrai meeting et un affrontement télé avec une Marine Le Pen décidément nulle pour cet exercice. Voilà tout. (À comparer avec plus d’un an de campagne de Mélenchon ou les centaines d’interventions –ignobles- de Zemmour, par exemples).
Dans cette forme de se faire élire sans chercher un consensus autours d’un programme, mais uniquement par tactiques permettant de se placer toujours comme le moins pire aux yeux de l’électorat, Macron parvient à incarner un idéal de gouvernement. Celui de la monarchie. Celle-ci correspond à son aspiration et sa conviction. Exposée dès 2015, bien avant qu’il ne soit élu :
La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus la !
Emmanuel Macron, Hebdo le 1, 8 juillet 2015.
Les collabos jouent à la Résistance
Cette semaine, Macron a donné un long entretien à la presse régionale. Il y évoque un « Conseil National de la Refondation », censé revitaliser la vie publique du pays. Il est question d’y faire participer les corps intermédiaires et des citoyens tirés au sort. La proposition reste cependant très vague, la seule chose claire c’est ce nom : Conseil National de la Refondation, soit le même acronyme que le Conseil National de la Résistance qui a posé les bases du système social français à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Ambitieux donc. Sauf qu’il est plus que probable que Macron en reste là : un nom ambitieux, et rien derrière. Pire, Macron n’a aucune légitimité pour invoquer le CNR car sa politique et son idéologie sont l’exact inverse de l’esprit de la Résistance. Le CNR fut fondé en 1943 et son programme ne se limitait pas à lutter contre l’envahisseur allemand, il fixait aussi les grandes lignes pour après la Libération. Or ce programme socle consistait à fonder des grandes institutions (d’éducation, de santé et de culture) qui échappent au marché, au service du bien-commun. C’est précisément ce que Macron et son monde détruisent méticuleusement. Le monde de Macron n’existe tout simplement pas hors du marché. Son monde c’est le marché et uniquement le marché. Il est l’incarnation de l’anti-CNR, c’est-à-dire du Collabo (non plus de l’envahisseur nazi mais du marché tout-puissant).
Changement de cap ?
Macron est cependant si inconséquent que l’on pourrait imaginer qu’il fasse l’inverse de tout ce qu’il a toujours fait et prôné. Après tout, il est assez incohérent pour remplacer Blanquer par Pap Ndiaye à l’Éducation. C’est mal comprendre son but. Précisément: détruire les services qui échappent au marché (donc, entre autre, l’Éducation Nationale). Aussi, que son ministre soit un taré obsédé par les (e)wokes ou un brillant historien, peu importe. Pourvu que l’Éducation Nationale poursuive son déclin afin de favoriser les entreprises privées de l’éducation conçue comme un simple secteur du marché. Qu’un algorithme développé par la Start-Up Nation puisse remplacer cent profs, voilà l’idéal -et l’illusion- de Macron.
Détruire la démocratie en saccageant des outils démocratiques
De plus, ce n’est pas la première fois que le monarque Macron joue au pipeau avec la démocratie. Il y a joué au moins à deux reprises durant son premier quinquennat : avec le « Grand Débat National », censé clore l’épisode des Gilets Jaunes, et avec la Convention Citoyenne pour le Climat. Son CNR est un mixe de ces deux arnaques.
Premier pipeau : le « Grand Débat National ». Rappelons qu’il existe un organisme chargé d’organiser des débats publics. Or, cette instance avait refusé d’animer le « Grand Débat National » car aucune condition d’un débat public n’y était garantie. Et pour cause: il ne s’agissait que d’une opération de communication, avec un Macron dissertant durant des heures, dans des monologues dignes d’un Fidel Castro (célèbre pour ses discours interminables).
Le « Grand Débat National » ne fut jamais un débat. Et c’est la Commission Nationale du Débat Public (l’organisme dédié aux débats en France) qui l’a clairement signifié. Voilà pour la sortie « démocratique » (en réalité, l’écrasement) des Gilets Jaunes en 2019.
Deuxième pipeau : la Convention Citoyenne pour le Climat. « Sans filtre », c’était la grande promesse de Macron lorsqu’il la convoqua. Or, cette convention fut une véritable expérience démocratique. C’est un fait assez rare pour le souligner. En effet, les citoyens furent désigné par tirage au sort, ce qui était la procédure originale de la démocratie athénienne (qui choisissait ses « députés » par tirage au sort au Vème siècle av-JC). Le tirage au sort était la procédure de désignation par excellence de la démocratie. Le vote a toujours été considéré plutôt comme une procédure aristocratique : on vote pour les « meilleurs » (aristocratie signifie littéralement « gouvernement des meilleurs »).
Les 150 citoyens désignés par le hasard parmi la population se sont longuement réunis. Ils ont écouté de nombreux experts et ont produit un rapport cohérent avec 146 propositions qui ont pour but de réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre en France d’ici à 2030. Cette convention a ainsi fait la preuve qu’une procédure véritablement démocratique peut aboutir à des propositions concrètes pour le bien-commun. Dès lors, Macron n’a eu de cesse de revenir sur sa promesse de « sans filtre », s’inventant des « jokers » et en dénigrant la convention. Bref, il a saccagé l’expérience démocratique, revenant à son monarchisme initial, afin de préserver les intérêts économiques de ses amis. Et tant pis pour la planète. Business as usual.
Discréditer les instruments démocratiques : une promesse d’autoritarisme
On pourrait longuement ironiser sur ce président qui découvre la démocratie ou joue du pipeau avec des instruments démocratiques. Mais il n’y a pas de quoi rire. Ce que fait Macron est extrêmement grave : il démonétise, par avance, des outils pour démocratiser la vie publique alors même que la démocratie représentative est à l’agonie. Il obstrue ainsi les rares voies d’un avenir institutionnel à peu près enviable, sachant que les principales alternatives (de la Russie de Poutine au Brésil de Bolsonaro en passant par la Chine ou la Hongrie) sont autoritaires. Pour faire sa com, il discrédite les outils qui permettent de concevoir un avenir démocratique. Il poursuit ainsi dans la voie déjà bien entamée vers un autoritarisme toujours plus brutal.