Le conflit russo-ukrainien a mis au centre du débat la question de la patrie. Ce tragique épisode questionne effectivement la manière de faire front à l’envahisseur. Plus généralement, le patriotisme s’est imposé dans le champ politique français comme une valeur cardinale de notre démocratie. Pourtant, il n’en demeure pas une seule et unique définition. Penchons-nous donc sur ce mot captif.
L’heure est au patriotisme. Tout le monde s’en revendique : du « patriotisme républicain » d’Emmanuel Macron, à « l’amour de la patrie » de Marine Le Pen, en passant par l’attachement patriote de Jean-Luc Mélenchon. Si l’on en croit toutes ces déclarations, la défense de la Mère Patrie serait source de convergence pour tous les candidats à l’élection présidentielle.
Une expression qui en cache une autre
Mais le patriotisme n’est pas si consensuel, et le rap est là pour le rappeler. Alpha Wann, dans son titre « LE PIÈGE », en donne un aperçu :
« Tu l’appelles Mère Patrie, j’l’appelle Dame Nation »
L’artiste utilise là une syllepse de sens. En remplaçant le premier groupe de mot (Mère Patrie) par son voisin (Dame Nation), il en donne un sens nouveau (damnation). Cette acrobatie sémantique permet de mieux visualiser l’ambiguïté planant autour ce terme de patrie.
La patrie en antithèse
D’une part, la Mère Patrie fait référence à la terre de nos pères, de nos mères. Elle constitue un héritage commun que nous partageons avec nos compatriotes. C’est elle qui nous accueille, qui nous héberge, qui nous voit grandir et nous accomplir.
D’autre part, la damnation revêt d’une dimension plus tragique. Il s’agit, dans la religion chrétienne, de la condamnation aux enfers, de l’exclusion du salut éternel. En comparant la patrie à la damnation, Alpha Wann met en lumière le caractère parfois exclusif et discriminant de la terre censée accueillir ses citoyens indépendamment de leurs appartenances respectives.
Les enfants délaissés de la patrie
Cette seconde conception souligne les espoirs déçus d’une patrie traitant également tous ceux vivant en son sein. Il y a les oubliés, les marginalisés, les laissés-pour-compte ; ce sont là toutes les personnes victimes du désengagement de l’État et des discriminations systémiques.
Alors, comme l’exprime justement Abd Al Malik dans son livre Réconciliation, pour « les enfants illégitimes de la République », la rue peut être perçue comme « une mère patrie de substitution ». Celle qui, pour la rappeuse Keny Arkana, « accueille les mômes en mal d’amour » (« La Mère des Enfants Perdus », 2006).
Réinventer la patrie
Si certains, au nom de la patrie, souhaitent exclure plutôt qu’unir, d’autres portent des messages fédérateurs. Dans une récente interview avec Mehdi Maïzi, le rappeur DA Uzi faisait part de son attachement pour la France, terre de sa réussite [28’43] :
« Peut-être qu’on est pas tout le temps d’accord avec ce qu’il se passe dans notre pays, mais c’est notre pays ! »
L’artiste envoie un message fort, teinté d’amour et de critique envers son pays. Le patriotisme réside peut-être là : dans l’attachement à sa terre, à ses pairs (plus qu’à ses pères), mais aussi dans la vigilance continue envers ses dérives, ses injustices.