Le rap entretient un lien particulier avec le territoire. Parfois romantisé, critiqué ou mis en lumière, il demeure l’espace à partir duquel s’expriment les rappeurs. Si le territoire agit bien sur le rap, son assimilation quasi-systématique aux banlieues en France pose question. Le rap français est-il vraiment une musique de banlieue ?
La question peut sembler vaine tant, aujourd’hui, le rap français est baigné dans l’imaginaire de la banlieue. Paroles, clips, lifestyle : tout concourt à en faire un pur produit de ces territoires. Pourtant, à en regarder l’histoire de ce mouvement, le constat n’est pas si clair.
La genèse du rap en France
Bien que le rap apparaisse dans les années 70 dans les ghettos américains, ce n’est que dans les années 80 qu’il se popularise en France. Dans un pays à l’industrie musicale extrêmement centralisée, l’essor du rap en France passe essentiellement par la région parisienne.
Contrairement à ce qui est communément admis, le rap ne se diffuse pas uniquement en banlieue. En effet, Paris intra-muros (ses labels, ses salles de concert, ses radios et ses boîtes de nuits) prend une place considérable dans la montée du rap en France. Les sessions open-mic proposées entre 1982 et 1983 au Bataclan illustrent, à ce titre, l’émulation qui se crée autour de la culture hip-hop dans la capitale. Des médias comme Radio Nova ou radio pirate prennent part à leur propagation en relayant ces productions artistiques nouvelles.
Le tournant des années 90
Les années 90 sont marquées par une série d’émeutes, notamment à Chanteloup-les-Vignes, Sartrouville ou encore Vaulx-en-Velin. Ces épisodes répétés de violence viennent braquer les projecteurs sur les « problèmes des banlieues ».
Le traitement médiatique univoque autour de ces révoltes pousse à la stigmatisation des quartiers populaires. Le « jeune de banlieue », issu des minorités ethno-raciales, devient dans l’imaginaire collectif le profil-type de l’émeutier. Dans ce contexte, les rappeurs sont perçus par la sphère médiatique comme de bons porte-paroles pour cette jeunesse incomprise. Ce sont pour la plupart des hommes jeunes, des classes populaires et issus de l’immigration.
Dès lors, le rap n’est plus saisi dans sa dynamique mêlant centre et banlieue. Il devient l’expression d’un malaise social spatialisé et représenté par un courant artistique, le rap.
Du rap, à l’ « urbain » musical
Alors que le rap comme genre musical perdure à la croisée du XXIème siècle, un autre terme plus englobant émerge lui aussi : les « musiques urbaines ». Cette nouvelle expression renvoie à l’idée d’un mouvement artistique défini par sa spatialité. Il s’agit de celle des villes.
Mais en réalité, que regroupe cette nouvelle supra-catégorie mêlant rap, RnB, soul et funk ? Pourquoi l’urbain devient-il le qualificatif commun à ces différents styles musicaux ? La réponse se trouve sans aucun doute dans des imaginaires partagés. Ces musiques proviendraient d’un territoire spécifique (la banlieue, la périphérie) et d’une population particulière (les minorités ethno-raciales).
« La formule arrime ainsi des pratiques artistiques à des groupes minoritaires du fait de leur origine supposée, dont « l’ancrage dans la ville » devient le signifiant métonymique »
Karim Hammou, 40 ans de musiques hip-hop en France
Cette nouvelle catégorie s’institutionnalise dans les années 2000, tout particulièrement lorsque les Victoires de la musique décident d’en dédier une récompense propre en 2007. A la catégorie « Album rap, hip-hop, R’n’B de l’année » vient se substituer celle de « musiques urbaines ». Elle forme l’agrégat des sous-catégories exposées précédemment.
Urbain, vraiment ?
En donnant un espace de prédilection au rap (la ville, voire la banlieue), n’assistons-nous pas à l’essentialisation d’une musique aux origines diverses ? La question se pose lorsqu’Orelsan remporte en 2012 une Victoire de la musique dans la catégorie « musiques urbaines ». Effectivement, l’artiste caennais, fils d’une institutrice et d’un directeur de collège, ne correspond pas à l’image du rappeur venant de banlieue et issu des milieux populaires. Cet exemple notable révèle les contradictions d’une catégorie définie par des imaginaires, mais trahie par la réalité sociale des artistes qui la compose.
Face aux controverses, les organisateurs décident en 2019 de créer une catégorie spécifique à l’ « Album rap de l’année ». A cette catégorie vient se substituer en 2021 celle du « Titre le plus streamé de l’année », considérant que les précédentes « musiques urbaines » s’en verraient sans doute récompensées. Plus récemment encore, les médias Booska-P et Yard ont décidé de créer leur propre cérémonie, « Les Flammes », afin de récompenser les artistes qui composent les « Cultures Populaires ». Pour autant, cette nouvelle dénomination, mêlant différents courants musicaux derrière une origine sociale supposée, ne résout pas la controverse sémantique. Cette dernière soulève du moins l’importance du choix des mots dans la dénomination d’une telle catégorie musicale.
Musiques urbaines et controverses
Dans un paysage musical où les institutions (politiques, médiatiques, maisons de disque, plateformes de streaming) cherchent à ranger les albums dans des cases, ces appellations continuent à faire débat. Dernièrement, c’est Gims qui, dans une vidéo s’est positionné contre l’emploi du terme d’ « urbain » musical.
C’est toute la construction sociale autour du terme d’urbain qui est ici dénoncée. Une musique qui serait celle des banlieues, animée en majorité par les minorités ethno-raciales, sans bien qu’un ADN proprement musical ne s’en dégage. Le sociologue Karim Hammou, spécialiste du hip-hop en France, résume cette expression : « La formule arrime ainsi des pratiques artistiques à des groupes minoritaires du fait de leur origine supposée, dont « l’ancrage dans la ville » devient le signifiant métonymique ».
En définitive, si le rap n’est pas en lui-même uniquement une musique de banlieue, l’histoire montre qu’il a été identifié comme tel par les institutions dominantes, le liant à des problèmes sociaux spécifiques aux minorités ethno-raciales. Ces imaginaires fabriqués expliquent l’assimilation du rap aux « musiques urbaines », dans un monde où le qualificatif d’ « urbain » fait écho aux « problèmes des banlieues ».