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À nos Amour(s): « Le vrai baiser d’amour » – #2 Le conte de La Belle au Bois Dormant

À nos Amour(s): « Le vrai baiser d’amour » – #2 Le conte de La Belle au Bois Dormant

Le vrai baiser d’amour est le symbole dans les contes de fées de l’amour éternel. Tellement fort qu’il brise toutes les malédictions, toutes les barrières… Même celle du consentement. Pour ce deuxième épisode, focus sur la Belle au Bois Dormant.

Le vrai baiser d’amour. Enchanted – The true love’s kiss

Juste un baiser!

La toile s’enflamme juste pour un baiser. D’un côté, certains agitent la cancel culture comme un épouvantail. De l’autre côté, le #metoo est brandi comme un étendard. Pourtant les deux camps défendent la même idée, la protection de l’enfance. Chez les nostalgiques, la leur, celle de leurs souvenirs où les contes n’auraient laissé aucun trauma. Chez les paranoïaques, celle de la nouvelle génération qui risque de reproduire les schèmes patriarcaux.

Posons-nous un moment pour se demander. Mais pourquoi ce baiser crée un malaise? … Il paraît qu’il n’y a jamais de fumée sans feu.

Petit retour en arrière: le commencement

La version la plus ancienne, en Europe, de la Belle au Bois Dormant date de 1634, écrite par Giambattista Basile. Dans son conte, « Le soleil, la lune et Thalie », le prince est un roi marié qui trouve la jeune femme endormie par un sort et la viole.

« À la fin, il arriva à la chambre où Thalie était comme enchantée. Au premier coup d’œil, le roi crut qu’elle dormait et il l’appela ; mais il ne put la réveiller, quoi qu’il fît. Comme il s’était épris de sa beauté, il la porta à bras le corps sur un lit … la laissa couchée et s’en retourna à son palais, où il ne tarda pas à oublier toute cette aventure. Neuf mois après, la jeune fille accoucha de deux jumeaux, un garçon et une fille. »

Si un viol ne réveille pas la Belle au Bois Dormant, on imagine alors un baiser…

Dans ce conte, ce sont les enfants nés de ce viol qui réveillent leur mère.

« Une fois, comme ils eurent envie de téter et qu’ils ne trouvèrent pas les bouts des seins, ils saisirent le doigt et le sucèrent tant qu’ils en tirèrent l’écharde. Leur mère parut sortir d’un profond sommeil, vit ces bijoux à ses côtés, leur donna à téter et les eut aussi chers que sa vie. »

Au fil des transpositions du conte, le viol disparait. Il est facile d’imaginer qu’un baiser, même quand la Belle est endormie, était plus acceptable.

Quand apparaît ce grand remplacement?

Pourtant, dans la conte de Charles Perrault, en 1697, nulle trace de ce baiser qui « sauve » la princesse. Le mauvais sort prenant fin au bout de cent ans, le Prince n’eut rien à faire.

100 ans de malédiction

A son arrivée dans la chambre, il ne touche pas la Belle, mais attend avec respect son réveil.

« Il entre dans une chambre toute dorée, et il voit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans, et dont l’éclat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin. Il s’approcha en tremblant et en admirant, et se mit à genoux auprès d’elle. Alors, comme la fin de l’enchantement était venue, la princesse s’éveilla. »

De plus leur amour n’est pas né d’une pulsion sexuelle masculine mais d’une vraie connexion intellectuelle.

« Le Prince charmé de ces paroles, et plus encore de la manière dont elles étaient dites, ne savait comment lui témoigner sa joie et sa reconnaissance. Il l’assura qu’il l’aimait plus que lui-même. Ses discours furent mal rangés. Ils en plurent davantage ; peu d’éloquence, beaucoup d’amour. Il était plus embarrassé qu’elle, et l’on ne doit pas s’en étonner (…) Enfin il y avait quatre heures qu’ils se parlaient, et ils ne s’étaient pas encore dit la moitié des choses qu’ils avaient à se dire. »

Le viol du conte initial de Giambattista Basile était problématique pour les auteurs du 17e siècle. À tel point que Charles Perrault l’efface de son conte et que son Prince ne touche même pas la Belle. Personne ne criait alors à la cancel culture. Pourtant Perrault reprend la suite du conte de Giambattista Basile dans sa version (attention spoiler) une histoire de belle-mère ogresse.

Pourtant il y a bien un baiser salvateur dans le conte que tout le monde connait!

Le baiser « salvateur » ?

Dans la version allemande des Frères Grimm, de 1812, le Prince ne put s’empêcher d’embrasser la belle jeune femme dans son sommeil.

« Elle gisait là si belle qu’il ne pouvait en détourner les yeux, il se pencha et lui donna un baiser. Alors qu’il l’effleurait de ses lèvres, la Belle au Bois Dormant, battit des paupières, se réveilla et le regarda avec affection. »

Dans ce conte rien ne dit que ce baiser devait la sauver de la malédiction. Les frères Grimm avaient repris le principe des 100 ans de sommeil du conte de Perrault.

« Elle ne tombera pas morte mais dans un profond sommeil de cent années. (…) Le jouvenceau déclara : — « Je ne crains rien, et je veux voir la Belle au Bois Dormant. » Le vieil homme chercha à l’en dissuader mais il ne voulut rien écouter. Cependant les cent années s’étaient écoulées et le jour était venu où la Belle au Bois Dormant devait se réveiller. Alors que le fils du roi s’approchait de la haie d’épines, il y avait de hautes et belles fleurs qui s’écartèrent pour le laisser passer sans le blesser et qui se refermaient de nouveau en haie vive. »

Le prince n’a rien d’un héros. Il était juste au bon endroit au bon moment. Son baiser n’était que la satisfaction de son seul désir. Les frères Grimm arrêtent leur récit au mariage de la Belle au Bois Dormant avec ce prince et fait disparaitre toute la deuxième partie du conte de Giambattista Basile.

La version la plus connue du grand public

C’est cette version que reprendra le conte de Disney en substituant les 100 ans de sommeil par le vrai baiser d’amour pour briser le sortilège.

Pour arriver à cette version « la plus connue », les contemporains ont réécrit, tordu le conte initial. De nos jours, il me semble paradoxal de défendre une version sous prétexte de sa popularité ou de son ancienneté. Alors qu’elle même n’est que la réécriture d’un conte ancien qui lui même est la réécriture d’un conte ancien.

S’il y a un malaise avec ce « vrai baiser d’amour » c’est qu’au départ il y avait vraiment un feu.

Feu de Bois – Damso

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