La Princesse est un archétype, c’est-à-dire une image universelle, issue de l’inconscient collectif, qui apparaît dans les mythes, les contes et les productions de notre imaginaire. Elle se retrouve dans toutes les civilisations, tous les pays, tous les temps.
« Miroir, mon gentil miroir, qui est la plus belle du royaume ? » C’est la phrase la plus célèbre du conte de Blanche Neige. Mais pour vous parlez de l’obligation de beauté de LA Princesse, j’ai choisi de l’illustrer avec le conte de Peau d’âne. Ce #4 épisode de A nos amour(s) s’attache à l’archétype de la princesse.
La caractéristique principale de la princesse est sa beauté.
Dans notre histoire occidentale, LA Princesse est née des récits médiévaux comme nous les ont transcrits Chrétien de Troyes ou les troubadours de langue d’oc au XIIe siècle. Son image s’est fixée grâce à Perrault et aux frères Grimm, cinq siècles plus tard.
La beauté est tellement primordiale! La Princesse la reçoit donc, en don, à la naissance. À son berceau, les fées se bousculent pour la lui offrir. Cette beauté, n’ayons pas peur de le dire, la Princesse la reçoit grâce à son titre, à son statut social de fille de… A-t-on déjà vu une fée faire allégeance à une famille de paysans?
Mais c’est aussi ce qui cause son malheur.
C’est l’œil jaloux de sa marâtre ou vindicatif d’une méchante fée qui lui dit son attrait, la force éphémère de sa jeunesse, et qui scelle son destin. C’est ce regard-là que nous envions, que nous aimerions tant saisir, que nous cherchons à provoquer quand nous obéissons à cette petite voix intérieure qui nous voudrait plus blondes, plus minces, plus jeunes. Les hommes ne sont bien sûr pas à l’abri de cet archétype de contes de fée, bien enraciné dans leurs têtes également, lors de leur quête de la femme (Princesse) idéale.
Le regard pervers du père.
Dans le conte de Peau d’âne, la Reine sur son lit de mort fait promettre au Roi de se remarier seulement avec une femme plus belle et plus bonne (physiquement et de caractère) qu’elle.
« Je veux avoir votre serment,
Adouci toutefois par ce tempérament
Que si vous rencontrez une femme plus belle,
Mieux faite et plus sage que moi,
Vous pourrez franchement lui donner votre foi
Et vous marier avec elle. »
La reine espérait bien sûr que le Roi ne trouverait jamais. Mais celui-ci, se remettra vite de son deuil et partira à la quête d’une nouvelle épouse. Sa fille, La Princesse était devenue plus belle et plus bonne (que la plus bonne de tes copines) que sa mère, feue la Reine.
« L’Infante seule était plus belle
Et possédait certains tendres appas
Que la défunte n’avait pas.
Le Roi le remarqua lui-même
Et brûlant d’un amour extrême
Alla follement s’aviser
Que par cette raison il devait l’épouser. »

Le désir incestueux du Roi pour sa fille, dans Peau d’âne, place la malédiction de la beauté de LA Princesse, à son paroxysme. Peau d’âne, ce conte n’existe qu’à cause de la beauté extrême de la Princesse, sans elle, il n’y aurait pas d’histoire. Vous comprenez mieux pourquoi je l’ai choisi… Bien sûr, le vrai problème est le désir immoral et anormal du père pour sa fille. Ce désir interdit du Roi est dénoncé par la mise à mort, en sacrifice, de son âne magique. Celui qui assure la prospérité et la fortune du royaume en livrant tous les matins des écus d’or à la place de crottin. Mais la référence à beauté de la Princesse dans Peau d’âne reste central dans le conte.
Belle par essence !
Même quand le sort l’oblige à renoncer à ses atouts et à s’enlaidir, même sous la peau d’une bête, celle de l’âne, la Princesse reste une princesse donc belle. Elle reste toujours prête quelque soit son accoutrement, la saleté, l’odeur de mort de la bête, à retrouver sa beauté. D’ailleurs, sous le poil de l’âne, elle sort un doigt très fin, pour enfiler une bague qu’elle seule peut porter (tellement elle est fine/maigre!). C’est le signe qu’elle demeure magnifique, différente des autres.

Avec la Princesse, c’est l’éternelle promesse de la métamorphose de la bête, ici Peau d’âne, en belle. Et quelle métamorphose! … Celle qui répond à tous les critères du carcan de l’archétype de LA Princesse.
« Mais lorsqu’elle (la Princesse) arriva dans les Appartements,
Et qu’elle eut traversé les salles
Avec ses pompeux vêtements
Dont les riches beautés n’eurent jamais d’égales ;
Que ses aimables cheveux blonds
Mêlés de diamants dont la vive lumière
En faisait autant de rayons,
Que ses yeux bleus, grands, doux et longs,
Qui pleins d’une Majesté fière
Ne regardent jamais sans plaire et sans blesser,
Et que sa taille enfin si menue et si fine
Qu’avec que ses deux mains on eût pu l’embrasser,
Montrèrent leurs appas et leur grâce divine »
Dans le désir permanent de l’autre.
Au travers des périls, LA Princesse a appris la fascinante potentialité de la beauté, du féminin et du désir de l’autre. Par la magie des contes que nous avons lus, c’est ce que nous avons compris et c’est sur cette certitude et cette identification que va se construire notre image de nous-mêmes : être belle, c’est être désirable. Le prince charmant est d’ailleurs là pour le prouver car LA Princesse est bien souvent l’objet de sa quête. À tel point qu’il en perd la tête.
« Dans le Palais, pensif il (Le Prince) se retire,
Et là, nuit et jour il soupire ;
Il ne veut plus aller au Bal
Quoiqu’on soit dans le Carnaval.
Il hait la Chasse, il hait la Comédie,
Il n’a plus d’appétit, tout lui fait mal au coeur,
Et le fond de sa maladie »

Et s’il n’y avait que le Prince! Mais non, il y a également tous les autres! La cour et les futurs beaux parents succombent et célèbrent également cette beauté.
« Des Dames de la Cour et de leurs ornements
Tombèrent tous les agréments.
Dans la joie et le bruit de toute l’Assemblée,
Le bon Roi ne se sentait pas
De voir sa Bru posséder tant d’appas ;
La Reine en était affolée,
Et le Prince son cher Amant,
De cent plaisirs l’âme comblée,
Succombait sous le poids de son ravissement. »
Cette beauté reçue passivement à la naissance, sans besoin d’efforts pour l’entretenir est l’essence de LA Princesse des contes de fée. Un archétype millénaire que les adaptations et les films contemporains essaient de gommer mais le carcan reste très présent. Demandons-nous toujours à un petit garçon quand il a une amoureuse si elle est belle? … Oui, il y a encore du travail …