pixel
Now Reading
« Fréquence Julie », l’amitié au service de la sublimation

« Fréquence Julie », l’amitié au service de la sublimation

Il aura fallu plus de 5 ans à la réalisatrice Mia Ma pour faire « Fréquence Julie », son dernier film documentaire. Dans son pitch, elle pose le principe : filmer son amie Julie non pas comme une victime mais comme une héroïne, une star.

« Un jour, Julie a entendu des voix qui la menaçaient. Des médecins lui ont fait des électrochocs, des marabouts ont tenté de l’exorciser, elle a avalé plein de médicaments, bu tout un tas de potions, passé des jours à l’hôpital et de longues heures enfermée chez elle à tenter d’oublier le passé et d’imaginer l’avenir. Administrativement parlant, elle est depuis sa première hospitalisation une handicapée mentale à 80%. À mes yeux, elle est une amie précieuse, une âme sensible, une résistante qui a décidé qu’elle ne ferait pas « une carrière de victime ». Depuis cinq ans, je la filme. Ensemble, nous plongeons dans son passé et nous y découvrons l’histoire d’une héroïne. »

Mia Ma

Revenons avec Mia Ma sur la fabrication de son film « Fréquence Julie ».

Le déclic pour faire « Fréquence Julie »

Boulomsouk Svadphaiphane : Tu aurais pu faire des films sur 36 000 autres sujets, après ton premier, pourquoi celui-ci, maintenant?

Mia Ma : Parce que l’idée était déjà là quand j’ai fait mon autre film (Riz Cantonais). Finalement c’est venu assez naturellement comme le 1er film. J’associe ça à des films très corrélés à la vie. C’est très « facile » car le désir est déjà là et très fort.

Boulomsouk Svadphaiphane : Quand, t’es-tu dit qu’il avait un sujet?

Mia Ma : Je me suis jamais dit qu’il y avait un sujet. C’était d’abord, un regard d’amie, mêlé à un regard de réalisatrice, de vouloir capter sa lumière et sa beauté. Paradoxalement à un moment où elle allait mal. Je la vois comme une actrice, même plus, comme une star. Son charisme, sa présence, là, je me suis dit qu’il y a une promesse de cinéma.

Julie et Mia Ma

Le besoin de rêver sa vie

Quand j’ai commencé à la filmer, Julie avait besoin de rêver sa vie, et moi j’avais envie de la sublimer, de fictionner sa personne, d’en faire un personnage. C’est aussi à cet endroit que nos désirs respectifs se sont rencontrés, je pense.

J’avais également un sentiment d’injustice, celui de voir Julie se marginaliser de plus en plus, alors même que je savais tout ce qu’elle avait enduré enfant, et en sachant à quel point la justice avait failli à son égard. Je ressentais une forme d’urgence à la mettre au centre et à ce que tout le monde la voit et l’entende.

Boulomsouk Svadphaiphane : Ton point de départ était donc de raconter l’histoire tragique de Julie ou parler de sa maladie?

Mia Ma : C’est difficile de tout démêler car je connaissais ce qu’elle traversait, son histoire. Dans mes premiers désirs de ce film, c’était aussi ce qu’il avait de terrible et beau dans la solitude. Ce qui était d’inédit et poétique dans cet ennui et cette solitude qu’elle traversait. À chaque fois, que j’allais la voir et que Julie avait l’impression qu’elle s’ennuyait à mort, j’avais l’impression qu’il avait quelque chose d’essentiel qui se passait dans ce moment présent.

Quand Julie allait mal, c’était plus facile de la voir avec une caméra. Ça me tenait quand c’était difficile. Ça m’aidait à voir la beauté dans ces moments-là.

Le lien entre la réalisatrice et la star

Boulomsouk Svadphaiphane : Le fait d’avoir un lien d’amitié avec Julie, cela a facilité le tournage, la création de ce film ou cela a été un frein?

Mia Ma : Ça n’a jamais été un frein. Après c’est difficile de décorréler ce qu’aurait été le film si cela aurait été quelqu’un d’autre. C’était juste à ma place d’amie que je pouvais la voir belle comme je la voyais que je pouvais saisir le non verbal. Puis ces intuitions, que j’ai eu ,de sentir ce qui se jouait à certains moments.

Boulomsouk Svadphaiphane : Julie dévoile des choses très intimes dans son histoire. Comment arrives-tu à trouver un équilibre entre montrer et pas montrer, entre cacher et dévoiler? Est ce qu’à un moment tu t’es dit que là, ça allait trop loin? T’es-tu auto-censurée ou es-tu restée sur une ligne de conduite à faire et finir le film?

Affiche de « Fréquence Julie » de Mia Ma.

Mia Ma : En faisant le film sur plusieurs années, je me suis jamais dit qu’il fallait qu’on aborde les sujets intimes. C’est vraiment un film qui s’est fait au fil de l’eau où j’écrivais au départ un journal. C’est pour ça qu’on début, je ne trouvais pas de producteur ou de financeur car ils ne voyaient pas le film. Moi je sentais les promesses du film mais il n’y avait pas vraiment de scénario. J’y allais un peu comme ça. J’ai mis du temps à décider que là, je faisais un film. J’avais juste besoin, à la base, d’aller la voir régulièrement et de capter ces moments-là et je savais pas pourquoi. Parce que j’avais vraiment peur aussi pour elle…

Montrer, ne pas montrer l’intime

Boulomsouk Svadphaiphane : Quand vous avez abordé ces questions intimes, comment l’as-tu accueilli?

Mia Ma : Le meilleur compagnon de ce film a été le temps. La vie a fait les choses. Jamais je me suis dit qu’il fallait aborder le passé de Julie. Si jamais elle ne voulait pas l’aborder, nous ne l’aborderions pas et ce sera un autre film. Ma ligne de conduite a toujours de ne pas aller plus loin que là où Julie avait envie d’aller.

En même temps, il avait cette fondation qu’à chaque fois qu’elle me parlait de son passé, j’avais l’impression qu’elle cherchait un écho. Je sentais qu’elle voulait en parler mais pas qu’à moi. Mais elle n’avait pas forcément les outils, alors. Je l’ai choisie en tant qu’actrice mais elle m’a choisie en tant que « médiatrice». Surtout elle l’avait déjà raconté, à moi, mais surtout à la police et lors du procès. Ce n’était pas la première fois qu’elle le racontait à un public.

C’était aussi le fait d’affirmer au fur et à mesure que cet intime était politique et concernait tout le monde. Avec le temps, Julie était aussi plus solide dans sa vie, elle avait le désir que cela soit utile, destiné à une audience plus large, au collectif.

Tu me demandais, est ce que quelqu’un autre aurait pu le faire, qu’une amie, je ne pense pas. Il fallait être tellement là, avant, pendant, après, s’assurer que cela ne la fragilise pas, même plus loin après et encore à présent. Il fallait donc quelqu’un en qui elle avait confiance.

La maladie, la folie

Boulomsouk Svadphaiphane : Le mal dont souffre Julie, au départ j’en avais une idée très mystique. La maladie est présente dans ton film, mais tu ne l’abordes pas directement, ni de manière clinique, ni de manière mystique.

Mia Ma : Comme Julie était en train de s’en sortir, cela aurait été l’assigner à ça, d’insister dessus, comme quelqu’un de fasciner par la folie. C’est pas mon cas du tout.

Boulomsouk Svadphaiphane : C’est ce qui est extraordinaire dans ton film, car on se fait beaucoup de fantasmes dessus. On part de la maladie mais on s’en va dans l’intime, sur autre chose. C’est peut-être la particularité de ton film. Sur la folie, chacun.e a son fantasme. Toi, tu as cette pudeur de ne pas le traiter, d’être dans l’humain. Ce désir-là, tu l’avais depuis le départ?

Mia Ma : C’est parce que je ne l’ai jamais regardée comme une malade. Je me suis jamais dit que le sujet du film était la maladie mentale. Moi même je l’ai jamais dit. C’est d’abord un film. Regarder Julie comme une star tourmentée, une Maryline Monroe.

Julie

Star à domicile

Boulomsouk Svadphaiphane : Il est intéressant ce mot là. Qu’est ce que tu mets dans le mot « Star »?

Mia Ma : À un moment donné, je voulais appeler le film « Star à domicile ». Jouer sur le fait que Julie était tout le temps chez elle, qu’elle s’ennuyait. Mais en même elle avait ce besoin d’en faire trop. D’être parfois décoiffée et en pyjama, mais quand elle se maquillait, elle y allait à fond. Julie a un coté cabotin. C’est un mot à connotation péjoratif mais pas pour moi. Elle est séductrice à sa manière. Ça n’apparait pas forcément dans le film mais Julie peut être comme ça. Ce côté-là m’intéressait.

Boulomsouk Svadphaiphane : A quel moment, tu t’es dit que tu allais chercher une production pour t’accompagner? C’était à une phase particulière de tournage?

Mia Ma : J’y suis allée très vite et je me suis faite jeter très vite, par plein de prods. J’ai alors compris qu’il fallait avancer d’abord toute seule. C’est peut être parce que je ne savais pas encore comment le raconter, le montrer, le filmer. En même temps, ça s’est bien goupillé parce qu’il fallait du temps à Julie aussi, de se faire à tout ça.

Boulomsouk Svadphaiphane : Ça aurait pu lui faire peur, effectivement, de rentrer dans une grosse machine dès le début.

Mia Ma : Peur et puis elle souffre tout de même de schizophrènie paranoïde. Pour Julie se n’est pas rien de se montrer.

L’avenir

Boulomsouk Svadphaiphane : Maintenant que le film est montré et qu’il a gagné des prix. Le film a reçu le Prix du jury du Festival des Ecrans documentaires, et une mention spéciale du Jury au Sheffield Doc Fest. Comment Julie le vit?

Mia Ma : Tu l’as vue quand tu es venue à la projection. Ça lui fait du bien de rencontrer le public, de partager tout ça. Elle le vit super bien. Ça complète le processus.

Projections à venir

  • 14 octobre, Paris, au Cinéma le Saint-André des Arts, 20H (en présence de la protagoniste et de la réalisatrice) 
  • 18 octobre, Saintes, au Gallia Cinéma, 20H (en présence de la protagoniste et de la réalisatrice) 
  • 3 novembre, Chatellerault, au Cinéma les 400 coups, 20H30 (en présence de la réalisatrice)
  • 22 novembre, Limoges, à l’Espace Noriac, 20H (en présence de la réalisatrice) 

D’autres dates déjà prévues et à venir partout en France et ailleurs sont à retrouver ici : https://frequencejulie.tumblr.com/ 

View Comments (0)

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Scroll To Top